> Les numéros > Scumgrrrls N° 1 - Printemps / Spring 2002

Et le gode se fit verbe

by ACMT

Qu’est-ce qui peut bien situer le dildo/gode comme carrefour de pensées actuellement ? En effet les réflexions fleurissent, elles sont riches et en plein développement. Si l’on peut dire que le sujet est d’abord l’évocation d’un univers de sex-shop, d’autres contextes existent  : les Queers théories, le Post- Structuralisme, le Cyber- Féminisme…

Toutes les féministes se souviennent qu’il y eut des débats que l’on qualifia de « débats sexuels ». Ces débats ont remis en cause les positions monolithiques du mouvement. Dans un premier temps les analyses avaient surtout pour but de soustraire les femmes à la violence qui caractérisait nombre de relations sociales entre les sexes. Les politiques se sont faites dans cette vision. Mais le résultat fut pourtant, aux yeux de certaines, que les femmes se comportaient encore comme des victimes, ne cherchant qu’à échapper à la logique masculine prédatrice.

En matière de sexualité les corps idéaux étaient les corps désexualisés, ne répondant pas au désir masculin prédateur et égocentrique. La pornographie était intégralement perçue comme un outil de domination et de marchandisation des femmes, et des filles, à l’usage des hommes.

La remise en cause de ces politiques a divisé le mouvement. Même s’il se peut que nous ayons encore du mal à l’entendre c’est bien du désir, aussi, dont il s’agissait. De fait, si l’on ne peut remettre en cause les analyses qui furent faites du « système prostitutionnel  », on ne peut réduire le débat sur la pornographie en disant aux femmes qui y trouvent un intérêt ou ont envie de l’investir, qu’il s’agit par nature d’une forme inapte au respect des individus.

Certaines pensaient que l’épanouissement des femmes devait s’explorer, que les femmes après 2000 ans et plus de patriarcat ne connaissent rien, ou si peu d’ellesmêmes et de leur potentiel. La sexualité a donc été, parmi d’autres, un objectif. Pour ce faire les femmes se devaient de se connaître, d’explorer, et d’approprier. Cette dernière politique, l’appropriation, a très mal été reçue : pourquoi copier les hommes ? A travers ces appropriations il s’agissait de détourner et de récupérer des éléments culturels à notre profit. Y figuraient le porno, les relations SM, le gode… « La théorie lesbienne séparatiste qui critique l’utilisation du gode, en ce qu’il entretient une complicité avec les signes de la domination masculine, croit encore en la réalité du pénis comme sexe. Dans cette érotique hyperféminisante, c’est l’absence qui structure le corps suivant un schéma monocentrique et totalisant qui est précisément le même que le modèle phallocentrique qui est incriminé. » Béatriz Préciado, 2000.

Des féministes ont ouvert des sexshops, proposant de lever le tabou qui entourait la sexualité des femmes. Elles ont restitué aux femmes la possibilité de sortir d’une certaine passivité où l’hétéropatriarcat les avait confinées. Mais elles ont aussi, et c’était peut-être là un risque inhérent à l’initiative, banalisé la sexualité et ses enjeux. La sexualité présentée aux sexshops Good Vibrations et autres se veut une sexualité sortie de l’environnement de licence, du réseau des initiés pour devenir accessible et attractive pour toutes et tous. Le lieu convivial, éclairé, détendu, alternatif, l’environnement de jouets rendus inoffensifs a lui aussi, me semble-t-il, enterré pour un certain temps un autre versant de la sexualité  : la tension de la sexualité offensive versus inoffensive.

Gode = ersatz du pénis ---- = manque du pénis---- = un (faux) pénis qui déclare son impotence Gode = prothèse ---- = remplace le membre manquant ---- = structuration autour de l’absence

« Les rôles et les pratiques sexuelles qui sont naturellement attribuées aux genres masculin et féminin sont un ensemble arbitraire de régulations inscrites dans le corps qui visent à assurer l’exploitation matérielle d’un sexe sur l’autre » ( Monique Wittig, 1989).

Je ne pense pas que des sex-shops tenus par des féministes, tels que Good Vibrations, est une mauvaise initiative, je pense que l’on ne doit pas s’arrêter là.

Dans les débats qui continuaient d’animer la communauté, se firent jour les revendications des femmes S-M, et à leur suite, des autres sexualités dites « divergentes ». Ce furent les Lesbiennes qui ramenèrent sur la table de discussion un sujet très controversé : butch & Femme. Pourquoi adopter dans les jeux de séduction et à travers les identités un stéréotype pareil qui renvoie immanquablement aux rapports de force entre homme & femme ?

Si des femmes construisent leur identité en se nourrissant de ces deux modèles c’est qu’il est directement question justement de différence. Ce qu’elles montrent de façon claire à la communauté c’est que l’enjeu émotionnel et sexuel entre deux individues se nourrit de la tension de la différence. Si l’on peut affirmer qu’il existe une subculture lesbienne, comme il existe une culture hétéro, c’est que l’on peut se rendre à l’évidence que les rapports entre les individues ne sont pas basés sur un vide, mais bien plutôt sur une culture qui a été réappropriée et réaménagée. Cette culture, cet imaginaire, cette sexualité offre le potentiel d’un pouvoir reconquis, plutôt que l’assujettissement à une position sans cesse décrite comme vouée à combler un vide : l’absence du pénis ou son envie.

La remise en cause, et l’affirmation de cette politique n’a rien d’une vérité, elle abandonne la position qui voudrait que les femmes découvrent ce qu’elles sont dans l’absolu. Cette dernière position étant rendue impossible par le fait même que les femmes n’ont aucun souvenir, ni aucune tradition de ce que furent leur rôle et leur culture en tant que femme en dehors de l’influence du patriarcat. Donc, retrouver la femme vierge du patriarcat, est impossible. Quant à croire que les femmes détiennent en elles-mêmes leur être, non souillé, non déformé, c’est une idée, à laquelle beaucoup voudraient croire. Mais qui est à mes yeux impossible, voire inutile. Voilà les Lesbiennes butchs & Femmes sorties des rangs essentialistes. La femme ne peut être réduite à son essence, ni à ses fonctions, comme ne peut l’être n’importe quel être.

L’être est hautement culturel, et le sexe devient genre social. La masculinité et la féminité deviennent des constructions sociales, des mascarades. Ce qui n’enlève rien à l’identité sexuelle qui est mâle ou femelle.

Dans la construction du genre il est intéressant de constater que la féminité est comprise comme totalement artificielle quand la masculinité est encore souvent comprise et exprimée comme naturelle. « On en arrive au paradoxe suivant : la féminité serait le résultat artificiel de toute une série de procédés technologiques alors que la masculinité, libre de toute construction technologique, serait naturelle…La masculinité serait la seule nature qui reste, alors que la femme peut être entièrement construite de façon technologique. » (B. Préciado, 2000).

C’est là que Préciado voit la place qu’occupent les butchs comme hautement problématique pour la masculinité naturelle. Elles démontrent par leur présence même l’imposture de la masculinité naturelle. « En s’appropriant pour elle-même les techniques de la construction de la masculinité et en les déformant, la butch représente la fin de l’hétérosexualité. »( Halberstam, 1998)

"Le Gode vient occuper une place stratégique enrtele phallus et le penis. Il va agir comme un filtre et dénoncer la prétention à se faire passer pour le phallus"

Alors pourquoi le Gode ? « …le gode vient occuper une place stratégique entre le phallus et le pénis. Il va agir comme un filtre et dénoncer la prétention du pénis à se faire passer pour le phallus » (B. Préciado, 2000). Contra-sexuel de B. Préciado veut se situer « …comme théorie et pratique de la traduction et de l’inévitabilité d’une re-traduction constante. » aussi bien des rapports à la sexualité que de ceux redéployés à l’érotisme qui se situent bel et bien dans le champ de l’imaginaire négocié ou pas.

En se situant dans une traditionphilosophique Préciado tire un lien lumineux entre Spinoza et ses « appétitions » ( ce qui fait qu’un sujet se définit comme tel et trouve la motivation de se projeter dans le monde, d’exister ) et les théories post-modernes qui renaturalisent, puis sortent le corps de la binarité qui veut qu’un terme justifie l’autre par opposition. La différence, non comme opposition, mais comme espace discursif où se négocie le désir. La sexualité c’est aussi une technologie, donc un savoir qui se construit.

Gode = un outil de la technologie sexuelle

Si nous détachons la sexualité des fonctions naturalisantes, dans lesquelles elle est restée gelée pendant des siècles, nous pouvons la regarder comme le ferait un sociologue, comme une technologie particulière des échanges au sein d’une société. Ce déplacement est en devenir, un savoir est par définition en devenir, jamais abouti, jamais fini. La sexualité sous ce regard me semble plus digne et bien plus intéressante pour celles qui se disent humaines.

Gode = partie du corps prothétique


= corps rêvé

Avec la notion de corps prothétique Préciado introduit un trajet plus radical. Le corps confiné à son étant, ressassant ses limites se projette et se rêve dans la prothèse. Le lien qu’elle établit avec les théories de Harraway et Butler se situe là : le cyborg comme espace de production d’un corps lumineux de liberté, débarrassé de la passivité de sa matière, qui entame des noces avec la machine comme extension réelle ou virtuelle du corps.

La prothèse remplit ce rôle très controversé de briser les tabous, de rompre avec le corps naturalisé pétri de fonctions biologiques et de significations limitantes, données par la socialisation des rôles gendrés.

« Les organes sexuels en tant que tels n’existent pas. Les organes que nous connaissons comme naturellement sexuels sont déjà le produit d’une technologie sophistiquée qui prescrit le contexte dans lequel les organes acquièrent leur signification (relation sexuelle) et sont utilisés proprement et conformément à leur nature (relation hétéro-sexuelle). » (B. Préciado, 2000)

Si l’on peut comprendre le sexe comme biologique, et la sexualité comme technologie, nous ouvrons tous les possibles.

Dans l’ouvrage de Préciado il y a bien plus que tout cela, elle aborde le contexte philosophique, regarde ce qui s’est passé dans le champ de la psychanalyse, propose de détourner la sexualité de ses fins productives, considère les concepts de déterritorialisation et de reterritorialisation quant au port du Gode et/ou prothèse, elle considère l’assignation sexuelle et ses problèmes.

Tout cela et bien plus, qui nous donne encore beaucoup à penser. Préciado propose même d’utiliser le signe (le Gode) tant et plus qu’il perde sa signification, qu’il se dilue dans la reproduction à l’infini qui ne permettrait plus de vouloir même repérer ou situer « l’original ». Il n’y en aurait plus.

Et si tout le corps devient gode ? Que se passe-t-il si on éclate la sexualité, qu’on la sort des zones génitales où elle est prisonnière. Pourquoi pas tout le corps, un bras, une cuisse bandée, un cou, une main, un dos gode ? (cf « The Lesbian Idol » Martina, KD and the consumption of lesbian masculinity de Louise Allen)

Et pour finir, si vous parvenez, à concevoir votre identité en résistance jouissive, votre corps partout resexualisé, retatoué partout de désir, que vous parvenez à ne plus résister, peut-être que vous deviendrez GODE.

Toutes les citation sont sorties du livre de Béatriz Préciado, Manifeste contra-sexuel, Ed. Modernes, Balland, 2000. Louise Allen, The lesbian Idol, Ed.Cassel, 1997