> Les numéros > Scumgrrrls N° 5 - Printemps / Spring 2004

Histoire de seins

Que se passe t-il avec nos seins quand nous voulons les faire réduire ? Deux expériences dans mon entourage me laissent pantoise.

Une connaissance que nous allons appeler Simone a longtemps souffert d’une très forte poitrine. Après bien des hésitations elle décida de consulter l’avis d’un médecin pour prendre connaissance de ce qu’on lui proposait. Un diagnostic fut établi : elle avait une poitrine qui posait des problèmes jugés médicaux. Suite à tout cela, il fut décidé d’une opération de réduction des seins afin de lui offrir plus de confort. Cette opération est remboursée par la caisse de sécurité sociale, il ne s’agit pas d’une opération esthétique. Elle entra donc à la clinique pour l’opération ; elle fut faite, et, surprise, le chirurgien avait retiré 500 gr par sein !!! 500 gr, cela ne représentait presque rien par rapport à la masse totale du sein.

En définitive, elle venait de subir une opération assez lourde pour un résultat qui la fit fondre en larmes. Pour elle, cela ne changeait rien !

Pourquoi lui avait-on retiré si peu de masse ? Les raisons en furent diverses et hautement médicales : si l’on retirait trop en une fois elle risquait de tout à fait changer la position de sa colonne, de modifier trop sa morphologie et les médecins redoutaient l’effet désastreux que cela pourrait avoir. Ensuite, est-ce qu’elle se rendait compte que cela changerait fortement la façon dont les autres la percevaient et la percevraient avec une poitrine fortement réduite ? Bref, elle s’en est remise, mais elle a beaucoup souffert pour avoir un petit peu moins de poitrine et une identité sociale qui n’était pas trop modifiée… Ce dernier aspect m’a titillé.

Une autre amie, appelons-la Pat, a quant à elle un autre problème. Elle a une très forte poitrine qui l’a toujours beaucoup handicapée et avec laquelle elle a eu une histoire difficile. Au bout d’un long cheminement elle a pris la décision de ne plus vivre avec cette poitrine du tout.

Elle s’est donc mise à la recherche de solutions et aides. Comme Simone, sa poitrine pose des problèmes au niveau de sa santé, on lui proposa donc de la réduire. Pat répondait qu’elle ne voulait plus de cette poitrine et qu’elle voulait qu’on la lui enlève pour lui laisser un torse plat. Son identité est fortement marquée par cette histoire négative avec sa poitrine et elle rebâtit tous les jours une nouvelle identité qui ne comprendra plus de seins. Elle fut guidée vers le centre qui accompagne et aide les transexuel(le)s. En d’autres termes, il n’y avait pas d’autre infrastructure capable de répondre à cette demande.

Faute de mieux, Pat joua le jeu. Elle accepta honnêtement de voir son problème sous ce jour, se remettant en question, et suivit la thérapie chez un psychiatre du centre qui écouta sa demande. Tout au long du processus, elle répéta qu’elle voulait de l’aide pour effectuer cette opération mais qu’elle ne désirait ni traitement hormonal de correction, ni hystérectomie ( ablation de l’appareil reproductif féminin). L’autorisation de l’opération sera probablement refusée à Pat. Elle serait donnée si Pat acceptait l’ensemble du processus !!!! Sa position est intéressante. Elle n’est pas transexuelle, mais sa demande qui touche l’identité sexuelle et l’identité culturelle est assimilée à un transexualisme.

Il serait long et laborieux de décrire ici le processus dans lequel elle s’est engagée et les critères qu’utilisent ces médecins pour travailler, mais il est intéressant de se rendre compte à quel point nos corps ne nous appartiennent pas, et que la définition du genre féminin va toujours de pair avec la production de signes sexuels secondaires tels qu’une paire de seins, des hanches marquées, l’absence de pilosité faciale, un vagin, des ovaires et un utérus. QUID de ceux et celles qui ont l’un ou l’autre mais pas le tout, ou qui ne veulent pas de ce tout. Ces deux expériences nous ramènent au fait que nos corps sont socialement construits… Mais où sont nos libertés en ce qui concerne la construction de nos identités ? Audre Lorde avait subi une opération d’ablation du sein par suite d’un cancer, et elle a beaucoup lutté pour ne pas accepter de porter une prothèse. Tous s’y opposaient : une femme sans seins n’est plus une femme, et c’est inacceptable pour la société. Pourtant, il nous semble clair que cela relève plutôt d’une décision et d’un vécu personnels.

Il y a actuellement des groupes de gens qui luttent pour que soit reconnu leur droit au genre qu’ils choisissent, et non celui qui leur est attribué d’office. Dans ces groupes, on trouve une diversité de points de vue et d’expériences qui représentent autant de questions vivantes : les intergenres, les transgenres, les terroristes du genre, les travesti(e)s, les Drag Kings, les Drag Queens, les butchs, les « other », les transexuel(le)s, les pseudo-hermaphrodites, et bien d’autres. Je les salue toutes et tous pour tout ce qu’elles/ils font tous les jours pour exister et faire reconnaître leurs identités.