> Les numéros > Scumgrrrls N° 2 - Automne/ Fall 2002

Le voile islamique. Et si on dévoilait les hommes ?

Le débat est relancé àchaque nouveau gouvernement : faut-il interdire le port du voile dans nos contrées ? Malgré que les télés nous montrent les messes d’enterrement et de mariage de la famille royale, que les radios publiques transmettent la messe le dimanche, et que les jours fériés sont ceux des fêtes religieuses, nous sommes quand même un Etat laïc. Il ne s’agirait pas de l’oublier, et il ne s’agirait certainement pas que toutes ces gamines de l’immigration l’oublient.

Sur le sujet, une belle unanimité se forme autour des droits de la femme. Et comme c’est assez rare que cet argument rencontre à ce point le consensus chez nos hommes et femmes politiques, il y a de quoi s’interroger. On ne peut certainement pas nier que l’imposition du port du voile dans certains pays islamiques a toujours été une arme visant à soumettre les femmes, à supprimer leurs droits et leurs libertés, à les humilier. Les femmes iraniennes, afghanes, saoudiennes, tunisiennes, pakistanaises et autres railleraient sans doute ma naïveté sur un sujet que je connais finalement assez peu.

Mais le port du voile s’étend en Belgique même. Quand je passe à l’Université de Bruxelles, je suis étonnée du nombre de jeunes filles qui le portent, bien plus qu’il y a dix ans quand j’étais étudiante dans cette même universit é. On peut peut-être blâmer le retour des valeurs religieuses, l’échec répété de notre (absence de) politique d’immigration, le repli sur soi des jeunes immigrés. Pourtant, rien de tout cela ne me convainc. Récemment une sociologue française a enquêté sur le voile dans les banlieues. Elle est parvenue à la conclusion que le voile constituait une protection pour de nombreuses jeunes filles pour échapper à la misogynie extrême des jeunes beurs. Une fille non voilée, qui met des jupes courtes, des T-shirts un peu moulants ou un peu décolletés, ou simplement une fille qui traîne en rue, qui parle aux gar- çons, c’est une pute, une fille qui acceptera volontiers les tournantes et autres viols collectifs. Une fille voilée, c’est une fille studieuse, sérieuse, vierge, conforme à la religion. Bref, c’est une fille à laquelle il ne faut pas toucher. Le voile est donc pour certaines une garantie d’échapper au regard des frères, des copains, des mecs. Une garantie d’être considérée comme une étudiante sérieuse qu’on n’orientera pas forcément dans les filières techniques. Une garantie de pouvoir passer inaperçue.

La conclusion de l’enquête n’est certainement pas si simple mais elle jette en tout cas un autre éclairage sur le port du voile. Il serait donc souvent imposé, religieusement, politiquement, culturellement, socialement. Et cela pose autrement la question de son interdiction : car interdire le voile, n’est-ce pas aussi une forme d’imposition  ? Et que penser du fait que cette imposition, tant du port du voile que de son interdiction, soit toujours relative aux femmes ? Jamais le débat ne porte sur l’interdiction de la kippa pour les garçons juifs. Or, on ne peut pas nier combien un certain intégrisme juif porte atteinte aux droits des femmes et des hommes.

C’est en définitive toujours le corps des femmes qui fait l’objet de la loi : la loi de la charia pour supprimer le corps de la femme aux yeux des hommes ; la loi de la rue pour respecter la virginité de certaines filles ; la loi laïque pour dévoiler et occidentaliser la femme. A chaque fois, il s’agit de faire la femme à l’image que l’homme désire : absente et soumise pour le musulman fondamentaliste, vierge et pure pour le petit mec des banlieues, libérée et maquillée pour l’occidental. Et dans ce dernier cas, le néo-colonialisme que cela traduit de la part de l’occidental laïc, n’a rien à envier à la colonisation du corps des femmes par les régimes islamistes ou les monstres sexistes de l’immigration. Dévoiler la jeune immigrée, c’est vouloir l’intégrer dans une image de femme habillée à l’occidentale, celle-là même que les petits mecs immigrés considèrent comme une prostituée.

Jamais la question du regard des hommes sur ces femmes n’est posée. Pourtant c’est peut-être là que se situe la véritable atteinte aux droits de la femme. C’est parce que les cheveux des femmes sont jugés excitants pour les hommes que les intégristes exigent le voile : ne faudrait-il pas mieux émasculer tous ces hommes concupiscents  ? C’est parce que certains jeunes immigrés voient en toute femme une pute que l’invisibilité exige le voile. On met en cause les femmes voilées en recourant à la laïcité de nos sociétés, pourquoi ne remet-on pas tout autant en question le sexisme de certaines franges de l’immigration ? Leur sexisme n’est-il pas tout autant une mise en cause de la laïcité que nous revendiquons ?

C’est enfin parce que le regard de l’homme occidental sur la femme s’arrête à son apparence que sa reconnaissance dans notre société exige son dévoilement : ne faudrait-il pas questionner l’image de la femme dans notre société et son respect en tant que personne ?

Mais toutes ces questions, personne n’a eu jusqu’ici le courage de les poser, certainement pas au nom des droits de la femme. C’est tellement plus facile de continuer à considérer les femmes comme des victimes, nécessaires objets d’attention et de protection.

Rappelez-vous l’invasion amé- ricaine en Afghanistan. La burqa fut un alibi si facile pour justifier l’attaque américaine. Au-delà de la vengeance des attentats, l’amérique a joué au défenseur des droits des femmes. Alors que l’encre de la loi interdisant la promotion de l’avortement dans les programmes d’aide au développement n’était pas encore sèche, le Texan non élu au poste de président se rengorgeait au nom de la libération des femmes. Et les dernières images qu’on ait vues de cette guerre aux actualités, tant en Europe qu’aux états-unis, furent celles de ces filles qu’on envoyait à l’école et que les journalistes tenaient tant à filmer sans voile. Comme si les médias pouvaient désormais refermer le dossier « Afghanistan » sur cette prétendue victoire des droits de la femme ; comme si la guerre n’avait finalement eu lieu que pour enlever la burqa aux femmes, les remettre sur les bancs de l’école et nommer une femme au Gouvernement. Ce serait oublier un peu vite que derrière les caméras, beaucoup de femmes portent encore la burqa car la misogynie et la violence des hommes afghans est vive, que la majorité des hommes au pouvoir, ceux du commandant Massoud en tête, ont un programme discriminatoire et sexiste, et que si la situation des femmes évolue chaque jour un peu plus, ce n’est pas l’affaire de quelques bombes américaines, mais bien de centaines de femmes, qui dans les réseaux comme RAWA, dans leurs quartiers, dans leurs familles, se sont battues pour leur libération qui ne se résume pas à l’enlèvement du voile.

Parfois la libération des femmes est un alibi bien séduisant qui permet d’enterrer les vraies questions, celles qui ont trait au comportement des hommes. Souvent, mieux vaut discourir sur les victimes (qualification qui ne sert pourtant pas la cause des femmes) que de trouver et accuser les coupables.

Pour poursuivre ces réflexions sur le voile, précipitez-vous sur la fabuleuse bande dessinée publiée depuis 2000 aux éditions de l’Association. Persépolis raconte en trois tomes l’enfance et l’adolescence de l’auteure, Marjane Satrapi, dans l’Iran de la révolution islamiste et la guerre avec l’Irak. C’est à la fois sa vie personnelle, une vie parsemée de révoltes, de discriminations et de difficultés, et la vie des femmes iraniennes qu’elle nous raconte. On suit Marjane, issue d’une famille aristocratique laïque et cultivée, dans l’école fondamentaliste, celle du port du voile et des auto-flagellations, dans les manifestations et craintes de poursuites politiques, dans les difficultés et joies de la vie quotidienne, du manque de tout à l’alcool consommé en cachette lors de fêtes improvisées. Lorsque la guerre contre l’Irak éclate, ce sont les bombardements, les clés du paradis qu’on donnait aux enfants pauvres destinés aux champs de bataille, les réfugiés que la BD illustre avec force et délicatesse. Plus tard, c’est la vie de Marjane à Vienne, où ses parents l’ont envoyée pour la protéger, son déracinement et sa fragilité face au racisme et à la solitude.

Marjane Satrapi conjugue dans ce livre une formidable narration et un talent incontestable de dessinatrice. Sa force d’évocation est incroyable : par un simple trait elle parvient à exprimer l’horreur de la guerre, de la mort, du fondamentalisme religieux et la fierté des femmes qui résistent. C’est une bande dessin ée féministe et politique à ne pas manquer.

Marjane Satrapi, Persépolis, Tomes 1, 2 et 3, L’association, 2000, 2001 et 2002.

Actually, discussions about the islamic veil are always a matter of regulating the body of women : the rule of the charia wants to suppress the body of women and take it from men’s gaze ; the rule of the streets uses the veil to mark young girls with virginity ; the rule of the so-called progressists aims at unveiling the body of women to make it appear more occidental. Wouldn’t it be time to question the behavior of men instead ?

In discussies over de islamitische hoofddoek gaat het er in feite altijd om controle uit te oefenen over het vrouwenlichaam : de wet van de charia wil het lichaam van vrouwen onderdrukken en het onttrekken aan de mannenblik ; de wet van de straat gebruikt de hoofddoek om jonge meisjes als maagd aan te duiden ; de wet van de zogezegde progressisten heeft tot doel het lichaam van de vrouw te ontsluieren, om het er meer westers te doen uitzien. Wordt het geen tijd om in plaats daarvan eens vragen te stellen over het gedrag van mannen ?