> Les numéros > Scumgrrrls N° 4 - Automne / Fall 2003

La mort de Marie Trintignant

Nous avons toutes été choquées de la mort de Marie Trintignant. Sans de l’espace doute, il faut le reconnaître, parce qu’il s’agit d’une actrice, d’une « star  », et pas seulement d’une femme ordinaire. Mais aussi et surtout parce qu’il s’agit d’une femme, une de plus, morte sous les coups d’un homme, victime de ce qu’on appelle avec beaucoup de pudeur la « violence conjugale  », comme si elle était neutre et impliquait identiquement les deux membres du couple, de la conjugalité.

Bien sûr on parlera plus de Marie Trintignant que des milliers de femmes qui, dans le monde, chaque année, succombent des suites des blessures, brûlures, coups, que leur ont infligés les hommes, maris, pères, frères, qui se croyaient leurs maîtres. Nous sommes toujours dans la société du spectacle… Mais peut-être ce drame incitera-t-il les médias à parler davantage de cette violence inadmissible et les politiques à prendre des mesures. Je ne suis pourtant pas rassurée par le ton qu’ont pris les médias autour de cet événement. Si ce n’est France Inter qui, à l’annonce de la mort de l’actrice, a rappelé les 400 mortes annuelles en France et a donné la parole à une association luttant contre cette violence, le reste de la presse en fait un simple fait divers, qui n’aurait d’intérêt qu’en fonction de la personnalité de ses acteurs. Le plus choquant vient du quotidien Libération qui a lancé un forum de discussion sur son site Internet. Il est intitulé : « Trintignant, Cantat : dites-nous votre peine ». Deux noms de famille accolés, presque en équilibre : la victime et le bourreau seraient-ils égaux ? Toutes deux victimes ? Le chanteur violent mérite-t-il notre peine de la même manière que sa compagne ? L’absence des prénoms permet aussi de soustraire le sexe de la victime et celui de son agresseur. Cela en devient juste un choc de personnalités.

Dans un édito du premier août dans Libération, A. De Baecque renchérit. Il parle d’un homme qui « voit sa vie détruite par un geste de folie » ; plus loin de « l’amour qui rend fou ». Si la mort d’une femme n’est qu’une folie, incontrôlable et pour laquelle on n’aurait aucune responsabilité, à quoi sert-il encore de rattacher la violence contre les femmes au machisme de notre société ? L’éditorial dit également qu’un « drame intime se transforme en cauchemar collectif ». Un « drame intime » renvoie la violence conjugale à la sphère privée, celle à laquelle il ne faut pas toucher, dans laquelle il ne faut pas intervenir, alors que les féministes ont eu tant de mal à sortir cette violence contre les femmes et celle contre les enfants de la sphère privée pour l’amener sur la sphère publique. « Cauchemar collectif » :mais ce n’est pas un rêve, l’on n’a pas envie de se réveiller, on est réveillées et on veut le rester. Seule la famille de l’actrice peut souhaiter que tout cela n’ait pas eu lieu. La société doit tenir compte de cette réalité et tenter d’y remédier. Il aurait plutôt fallu dire qu’un « drame collectif se transforme en un cauchemar intime »…

Dans les semaines qui ont suivi, il semble que certains médias n’aient plus aucune retenue. C’est toujours la version de l’amour intense qui retient le plus l’attention. De nombreux médias insistent sur cet amour passion ( ?) qui semblait lier les deux artistes. Sur beaucoup de couvertures, on peut lire « Un drame de l’amour » ou autres niaiseries, souvent avec une photo de Marie Trintignant et une plus petite photo du chanteur en pleurs (TéléMoustique par exemple). Comme si l’assassin pleurait la victime et qu’il fallait le plaindre. Le journal Gala a même parlé de « cette violence propre aux artistes »… Un petit soulagement en septembre grâce à une longue interview de Lio dans Victor, le supplément du Soir. Elle remet les choses en place, s’énerve contre les médias tels que Gala ou Libé, et condamne sans complaisance toute tentative de faire passer cette violence inacceptable pour une conséquence malheureuse d’un « amour trop passionnel ».