> Les numéros > Scumgrrrls N° 9 - Printemps / Spring 2006

Le corps transsexuel et la loi

Du changement de sexe au changement d’identité légale En mars 2004, une proposition de loi a été déposée au Parlement belge pour faciliter le changement d’identité des personnes transsexuelles. L’Union européenne réclame depuis longtemps que les pays membres facilitent le changement de prénom des personnes qui ont effectué un changement de sexe et la Belgique a pris un peu de retard dans ce domaine.

Le but de la loi consiste à faciliter le changement de prénom et de sexe dans des documents tels que la carte d’identité et l’acte de naissance. Le changement de prénom pourra même être indiqué sur la carte d’identité avant l’opération de changement de sexe, ceci afin d’aider le transsexuel à "essayer" sa nouvelle identité avant sa transformation corporelle, ce qui correspond à une pratique des transsexuels recommandée par le corps médical. Mais la loi va plus loin que cela et se saisit de l’occasion pour véritablement intervenir dans les opérations de changement de sexe, jusqu’ici laissées à la volonté des personnes et à la déontologie des médecins.

Un lien normatif entre corps, sexe et genre

Tout d’abord, la proposition de loi se risque à une définition du transsexuel, considéré comme "toute personne qui souffre d’une insatisfaction en raison de son sexe anatomique sans qu’il s’agisse d’intersexualité physique et qui souhaite être libérée de ses caractéristiques sexuelles primaires et secondaires au moyen de traitements hormonaux et d’un traitement chirurgical reconstructif et vivre, en permanence et sans être remarquée, conformément à l’autre rôle sexuel". La proposition impose que "cette dysphorie de genre doit persister, de façon durable et ininterrompue, pendant au moins deux ans". Il s’agit là d’une vision particulièrement normative du corps et du genre qui repose sur une binarité des sexes, féminin et masculin. La définition du transsexuel admis à bénéficier des procédures de changement d’identité légale insiste en effet sur le traitement médical à la fois hormonal et chirurgical, donc sur la transition complète vers l’autre sexe. Le changement de nom est réservé aux personnes qui choisissent de conformer leur corps à ce nouveau nom, de changer d’identité de genre en transformant leur corps et leur sexe. Les transgenres qui souhaitent ne pas entamer une procédure chirurgicale et se limiter aux hormones, qui veulent par exemple supprimer leurs seins sans renoncer à leur vagin, ne pourront pas bénéficier de cette procédure en changement de prénom, même s’ils ont l’impression que leur sexe, leur genre, a été modifié et ne correspond plus au prénom indiqué sur leur carte d’identité.

L’intersexualité, un corps étrage

Les intersexuels sont exclus du champ d’application de la loi, ce qui renforce cette polarisation des sexes. Cette exclusion revient à réserver le changement de nom aux seules personnes qui se sentent à l’intérieur d’un corps qui n’est pas le leur et souhaitent réassigner à leur corps le sexe opposé. Les intersexuels ou hermaphrodites sont des personnes dont le corps, à la naissance, comporte médicalement des éléments des deux sexes, ce qui incite généralement les parents ou les médecins à décider une opération médicale pour leur assigner un seul sexe. Rien de plus gênant en effet, dans notre société aux deux genres, de ne pas pouvoir dire avec certitude à la naissance de son enfant : c’est un garçon ! c’est une fille !

Nombreux sont les intersexuels qui optent à l’âge adulte pour un parcours transsexuel, souhaitant "récupérer" le corps qui leur a été soustrait. D’autres choisissent de vivre socialement leur autre sexe, sans vouloir renoncer aux attributs du sexe qui leur a été laissé à la naissance. Ils essaient dans ce cas de conjuguer leurs deux sexes, qui constituent en définitive leur identité, en additionnant leur sexe physique et leur sexe social. N’auraient-ils pas droit eux aussi à une reconnaissance légale de ce choix d’une autre identité sociale ? En déniant aux hermaphrodites tout changement d’identité de genre que ce soit par changement de sexe ou simplement de genre social, la proposition de loi donne raison aux docteurs et aux parents qui ont castré ces personnes d’une de ses composantes sexuelles et confirme qu’une personne ne peut avoir qu’un seul sexe, être femme ou homme. Ce qui donne tort à la réalité puisqu’il y aurait 1 bébé sur 2000 qui naîtrait avec une telle confusion des genres…

La médicalisation du corps transsexuel

Le législateur s’immisce davantage encore dans le processus de changement de sexe. Bien que la loi ne soit censée que faciliter le changement de sexe dans la loi, elle ne se prive pas pour décider des modalités médicales du changement de sexe. En premier lieu elle impose que cette opération soit effectuée par une équipe multidisciplinaire comportant un psychiatre, un endocrinologue et un plasticien, imposant donc la voie à suivre aux transsexuels. Le projet de loi dispose également que "si le transsexuel est marié ou a procréé, dans son rôle sexuel initial, l’équipe de médecins attire l’attention du patient sur la nécessité d’un accompagnement et d’une aide psychologiques de son partenaire ou de ses enfants". On se demande ce que vient faire cette quasi-obligation d’un soutien psychologique destiné au conjoint et aux enfants, dans une loi qui n’est censée que traiter du changement de prénom. C’est aussi une vision fortement normative du corps que la loi adopte ici, en considérant que toute intervention sur celui-ci déstabilisera forcément l’entourage de ce corps et psychanalysant cette opération de changement.Ensuite, la loi interdit aux personnes qui ne seraient pas considérées "comme un transsexuel au sens médical strict" d’accéder à l’opération de réassignation sexuelle. Peu importe finalement que les intersexuels ne puissent faire acter sur leur carte d’identité leur changement de genre, ils ne pourront de toute manière pas bénéficier d’une opération de réassignation sexuelle ! Enfin, lors de la demande de changement de prénom, le transsexuel doit remettre à l’officier d’état civil un certificat du médecin attestant que " l’intéressé n’est plus en mesure de procréer conformément à son sexe initial". D’accord, Mons… euh pardon Madame, pour vous appeler Joséphine, mais il n’est pas question que vous puissiez encore donner naissance à un enfant en tant que Joseph ! Il faut préciser que la stérilité découle naturellement du traitement hormonal et des interventions chirurgicales pratiquées. On ne voit donc pas bien pourquoi les autorités ont besoin de ce certificat qui insiste encore plus sur le lien normatif entre sexe et genre : seule une madame peut être maman, seul un monsieur peut être papa. Même si, dans la réalité, il n’est pas rare que des transsexuels fassent congeler leur sperme, avant l’opération, pour éventuellement pouvoir procréer par la suite.

Le corps n’a qu’un sexe, le sexe n’a qu’un corps

Cette proposition de loi donne donc à l’identité de genre un contenu fortement normatif. Le corps y est naturalisé et sexualisé : il est homme ou femme, sans autre choix, si ce n’est celui de passer de l’un à l’autre. Le transsexuel est celui qui franchit le pas, de manière définitive, et non celui qui reste dans l’entre-deux. Celui qui choisit cette voie doit se soumettre à un processus fortement médicalisé et imposé qui mène à la réassignation complète des éléments de l’autre sexe. Pas d’autre choix que le bistouri ! Intersexuels, indécis, transgenres et joueurs d’identité doivent se contenter du prénom qui leur a été donné à la naissance même s’il ne leur semble pas correspondre à leur identité, même si cela crée des malentendus et des situations dangereuses dans leur vie sociale. Et pour certains, la table d’opération ne leur sera même pas ouverte ! Le corps sera masculin ou ne sera pas ; le corps sera féminin ou ne sera pas !

EN

In March 2004 a bill was presented to the Belgian Parliament in order to make the change of identity easier for transsexual people. But the law rests upon the ideology that you can only be either a man or a woman. It means that a transsexual person is somebody who changes sexes in a permanent way, not someone who remains in-between. Body, gender and sex as applied by the law !

NL

In maart 2004 werd een wetsvoorstel ingediend bij het Belgische Parlement om identiteitsverandering te vergemakkelijken voor transseksuelen. Maar de wet berust op de ideologie dat je alleen maar óf man óf vrouw kan zijn. De transseksueel wordt dus gezien als iemand die definitief overschakelt op een ander geslacht, niet als iemand die zich ergens tussenin kan bevinden. Lichaam, gender en seks zoals de wet het ziet !