Trois minutes en 59 ans ! Durée totale de mon désir d’enfants. Autant dire : rien ! Que s’est-il passé ? Mon parcours est-il ‘typique’ ? C’est assez complexe, un mélange rationnel et irrationnel avec en toile de fond l’histoire de la deuxième moitié du 20ème siècle.
La question se pose tout d’abord dans l’adolescence dans les années 60, où un slogan traînait dans l’air :’Pas de solution sans contrôle des naissances’ ! Ca commençait très fort et pour quiconque née dans une famille de gauche comme moi, sauver le monde faisait partie du bagage, il ne me restait plus qu’à adopter un/e ‘pauvre’ petit/e du Tiers-Monde ! A 20 ans je contestais trop la société dans laquelle j’évoluais que pour vouloir consacrer du temps à reproduire little families in ‘little boxes’(chanson de Malvina Reynolds), le rêve petit-bourgeois de banlieue.
Quand vint le temps des amours sérieuses, vint aussi le temps de la militance, des maisons communautaires où torcher le bébé incombait à toutes et à tous. Pourquoi en adopter, quand on élevait ceux des autres ? La possessivité n’était pas au goût du jour. Mon expérience communautaire avec ‘bébé partagé’ m’a plu, mais qu’est devenu le bébé ? (chanson de Brigitte Fontaine :Cet enfant que je t’avais fait). Ma volonté d’adopter née dans l’adolescence ne semblait guère plus persistante, elle s’est évaporée en l’absence de partenaire mâle présent au moment du désir (les 3 minutes, remember ?). La pression sociale face à mon ‘choix’ se concrétisait par un lourd silence, rompu seulement par la remarque assassine de mon père : ’Tu es un fruit sec !’ Il faudrait d’ailleurs parler du désir d’enfants des grands-parents !
Autour de moi les copines pondaient 2 enfants en général.
Puis un jour je vire lesbienne, ce qui, à l’époque, me met définitivement hors sujet. Je choisis la fuite ou quoi ? Mais non, I expand my borders ! Bref, à 35 ans j’étais lesbienne sans utérus (hystérectomie) ni amante : la question relevait du passé. Le monde ambiant, les années 80, les guerres n’invitaient guère à l’optimisme. Peut-être que c’était là justement l’ingrédient manquant, un optimisme vitaliste et inconscient ! Mais ma vie se poursuivait, riche de plein d’autres choses et d’autres combats !
A partir de la cinquantaine quelle ne fut pas ma surprise : je me réveillai parmi de jeunes et moins jeunes lesbiennes qui se faisaient inséminer et semblaient éprouver un désir inébranlable d’en faire (Au fait, pourquoi ?). Je suivis, les yeux écarquillés, leurs efforts patients et parfois douloureux pour arriver à une grossesse tant désirée. Je m’indignai sur tout le processus par lequel elles devaient passer pour être admises par l’hôpital.
Je caressai avec émotion le crâne duveteux de ‘mon’ premier bébé lesbien. Je vivais un moment historique dans notre histoire lesbienne. Comme pour mon premier mariage lesbien, la conscience de vivre une évolution des moeurs, pour laquelle d’ailleurs je ne m’étais pas battue, me laissait pourtant perplexe et un peu KO. Ces ‘nouvelles’ mères pourraient-elles poursuivre la tradition marginale de l’histoire lesbienne ? Ne seraient-elles pas happées par leurs petites tribus ? Comment allaient-elles concilier tout cela ? Comment allaient-elles élever leurs enfants de façon féministe ?
Je leur laisse les réponses avec confiance et curiosité !
Ceci dit, je voudrais rappeler qu’il existe une histoire de femmes homosexuelles qui ont vécu sans désir d’enfants et qui ont mis leur énergie dans autre chose, parfois dans les enfants des autres d’ailleurs, parfois dans des projets de société, des créations artistiques, souvent dans le ‘caring’(infirmières, kinés, enseignantes). Et quelle chance pour tous/tes !!