J’ai donc un enfant enfin, il s’agit d’un projet de 12 ans, truffé de pourquoi et de comment. Franchir les barrages de pensée d’une vie trop active, de l’illusion que comme la plupart de mes collègues gays la répétition des soirées alcoolisées entre copains me confèrerait bien-être et pouvoir de repousser le vieillissement…
Franchir aussi le barrage mental qui me hantait après de nombreuses années au sein de la communauté féministe et lesbienne, se dire qu’on pouvait mener de front une vie militante avec des idéaux féministes, élever un enfant dans des valeurs progressistes (sans trahir ses propres valeurs) et pourquoi pas, tenter de faire exploser la sacro sainte « famille » de l’intérieur. En effet, ce projet d’enfant qui se réalise enfin met en jeu une communauté d’amis (et de parents), des relais affectifs, des ponts de « caring » et des échanges de savoir importants.
J’ai donc un enfant enfin. Mais mon pays (comme de nombreux autres) estime que pour être liée par des droits à lui, je doive l’adopter. Tout d’abord on se gratte la tête et on se demande bien fort pourquoi mon projet de 12 ans semble moins légitime (carrément pas légitime) que le possible hétéroaccident. Il est bon de savoir que tout homme se présentant avec l’accord de la génitrice à la maison communale suite à la naissance, peut être instantanément fait père (qu’il soit géniteur ou non, cohabitant ou non, rencontre d’un soir ou non etc).
Donc mon pays estime que ma relation stable et aimante de 14 ans, m’autorise moins à reconnaître l’enfant qui est le fruit de cette relation…hum… Pourquoi partir de ce préjugé de base selon lequel le cadre d’une naissance « traditionnelle » (par ex. l’hétéro accident) accorde comme par magie des savoirs, des compétences, un pouvoir responsabilisant immédiat ?
Je dois donc, pour adopter mon propre enfant, passer par une procédure administrative et de contrôle de l’état sur ma vie privée qui va sans doute durer plusieurs années. Plusieurs années où je n’aurai pas de droits qui me lieront à l’enfant. Que faire en cas d’absence de l’autre mère et d’hospitalisation de l’enfant, en cas de voyage à deux, en cas de décès de l’autre parent, autant d’exemples qui me font froid dans le dos et qui privent mon enfant de sécurité et d’un DROIT fondamental ! Comment vais-je lui expliquer (si cela dure) cette absence législative de lien ? Comment, si cela s’avère nécessaire, pourrais-je lui expliquer cette injustice et ce manquement à mes responsabilités envers lui (imposé par l’état ), responsabilités que j’estime fondamentales ?
Les premières brochures que je reçois expliquent que le principe même du processus d’adoption est de maintenir le lien avec la famille d’origine dans l’intérêt de l’enfant. Ce qui n’est absolument pas le cas de l’adoption homosexuelle où il s’agit d’obtenir des liens juridiques avec l’enfant que la partenaire a porté. Pour laquelle la famille d’origine est celle qu’on a créée, à laquelle on participe, pour laquelle on s’investit totalement, émotionnellement, financièrement, affectivement et tous ces autres « ments ». Pourquoi donc ranger ce type d’adoption dans le même cadre que les projets d’inclusion d’un enfant dans une nouvelle famille ?
Je saute donc à pied joints en Absurdland. 250 € et la procédure commence... D’abord une séance de préparation où l’on m’explique la complexité de la procédure. Les intervenantes me précisent qu’elles n’ont aucun retour sur l’issue des procédures entamées auprès d’elles. Déjà ça me donne la foi grave. Toutes pleines de bonne volonté qu’elles soient, elles travaillent à l’aveuglette... Nous sommes ensuite censés passer une série de rendez-vous psychologiques auprès d’un organisme d’adoption (c’est sûr que mon projet vieux de 12 ans est plus instable que le résultat de l’hétéro accident… et qu’il faut s’assurer de mon bon état mental avant de me confier l’éducation d’un enfant, que j’assure déjà dans les faits).
Au terme de ces entretiens, me sera décernée un certificat d’aptitude à adopter et commencera la phase judiciaire devant le tribunal de la jeunesse. Une enquête du ministère public, confiée à la police, peut alors être demandée. Assistants sociaux et flics, bienvenue chez moi, dans notre intimité ! Dans le meilleur des cas, et dans des délais improbables, on arrive, après cela à l’audience. Puis à un prononcé de jugement au plus tôt 6 mois après le dépôt de requête (dit le prospectus qui me fait rire jaune), et bien c’est déjà trop, beaucoup trop ! Et puis comme il s’agit d’un processus judiciaire, cela fini par dépendre de l’arbitraire de 2 personnes : le procureur du roi et le juge. Il suffit que la procureur du roi en charge des dossiers d’adoption laisse traîner le dossier pour que la sécurité des enfants soit remise en cause.
D’autres avant moi ont entamé cette procédure, de nombreuses en font encore les frais, car à force des pertes de dossier de l’administration et des manquements de la justice, leur demande traîne depuis des années. 2, 3, 4 ans, la justice a le temps…et nous ? et nos enfants ? Cerise sur le gâteau : la procédure est à recommencer entièrement pour chaque nouvel enfant… Et oui, en Belgique, veinards que nous sommes, nous avons l’adoption homosexuelle. Le sparadrap sur l’entorse, le c’est-déjà-mieux-que-rien, qui donne peut-être bonne conscience aux politiques (progressistes) ou plutôt est-ce simplement impossible de formuler des propositions sur la fondation existante de la filiation marquée par un modèle familial hétéro-patriarcal.
Le pire est que c’est en effet mieux que rien (la minorité opprimée a la fâcheuse tendance d’accepter les miettes en cas de famine), mais CE N’EST PAS ASSEZ ! Cette loi est bien entendu injuste et discriminante et nous devons exiger les même droits que n’importe quel autre couple qui conçoit un enfant !