On ne va pas le nier : d’un point de vue strictement médical la maternité au-delà de 35, voire 45 ans, pas de quoi s’enthousiasmer. Difficulté de conception, risque augmenté de malformations, nécessité de déployer des moyens sophistiqués avec tout ce qu’ils comportent comme risques...
Et ne parlons pas des frais pour la sécurité sociale, déjà en faillite. Ce serait donc tellement plus facile pour tout le monde si les femmes voulaient bien avoir l’obligeance d’avoir leurs enfants à l’âge où leur fertilité est optimale et leur corps en pleine forme donne les meilleures garanties pour passer l’épreuve de la grossesse et de l’accouchement avec le moins de dégâts.
Mais voilà, la réalité nous rattrape, et souvent ce n’est pas comme ça que ça se passe. "De plus en plus de femmes remettent la procréation à plus tard", se lamentent les média depuis déjà une dizaine d’années. Et "plus tard" devient souvent "trop tard", renchérissent-ils. Résultats : couple désenchanté garanti, la population chute, nos pensions sont en danger...
Mais est-ce que c’est seulement à moi de me sentir coupable, quand je lis l’énumération des causes sous-jacentes à tous ces malheurs : "les études prolongées des femmes", "le recul du moment du mariage", "les choix qu’impose la carrière" ou encore "l’envie d’une vie sans contrainte, de liberté (sexuelle) et de voyages" ? Je dois dire que je suis tentée de cocher chacune de ces cases, mais...
Avant de me culpabiliser et de me ranger au message sournois que tout irait tellement mieux si les femmes voulaient enfin se résoudre à oublier ce travail, et se consacrer à plein temps à leur petite famille, je voudrais quand même rappeler que les femmes ne sont pas seules à détenir la responsabilité de la procréation dans notre société. Est-ce qu’on entend les media se plaindre de l’envie, très réelle aussi, des hommes "d’une vie sans contraintes, de liberté (sexuelle) et de voyages" ? Pourtant, une femme qui ne veut pas encore se caser n’est rien comparée à un homme qui ne veut pas encore se caser : impossible de mettre le grappin sur ce jeune écervelé et d’en faire le digne père de votre progéniture. A un âge où les femmes commencent à trouver que les aiguilles de leur horloge biologique avancent bien vite, les hommes de leur entourage en ignorent jusqu’à l’existence. A peine commenceront-ils à s’en inquiéter autour de la septantaine. Et au grand jamais personne ne leur suggèrera qu’ils devraient être prêts à sacrifier leur carrière et leur indépendance financière pour assurer leur descendance.
Mais n’allez pas croire que les femmes qui procréent à un (trop) jeune âge ont la cote. Si la société traite les femmes 30+ sans enfants d’égoïstes, on pourrait penser qu’elle regarderait d’un oeil bienveillant un autre phénomène en augmentation : les grossesses chez les adolescentes. Mais non. Pour la plupart des gens, les "filles mères" restent des irresponsables, des filles faciles, voire des traînées. Encore une fois des préjugés. Bien que le phénomène reste souvent qualifié de fléau social (dans la classe ouvrière évidemment) et de preuve d’échec de l’éducation sexuelle, une nouvelle réalité semble émerger. Celle d’un choix conscient et assumé chez ces filles : de devenir mère, de créer un foyer, de prendre son destin et celui de son enfant en main, avec ou sans l’aide du père. Pas facile, c’est clair, mais pour beaucoup d’entre elles c’est loin d’être la catastrophe qu’on suppose, comme en témoigne un ensemble d’ [1]. Un reportage récent dans le Nieuwsblad (janvier 2010) vient l’illustrer. Pour les trois jeunes femmes interviewées, cet événement dans leur vie avait semblé plutôt bénéfique : épanouissement, responsabilisation, nouvelle motivation d’études, le bonheur d’avoir quelque chose pour laquelle elles veulent se battre. Autrement dit : elles étudient, ne passent pas de nuits blanches dans les bars à draguer, à se saouler et à fumer. Peut-on désirer une jeunesse plus recommandable ? Il faut dire que l’école que fréquentaient les trois filles gérait la situation d’une façon exemplaire : elle organisait une crèche pendant les cours, prévoyait un suivi social... Loin d’être des parentes isolées et désemparées, les filles trouvaient aussi un superbe soutien entre elles.
Des solutions existent donc, pour autant que la société y mette du sien, et qu’on veuille bien regarder au-delà de la fausse panacée du "père subvenant aux besoins de la famille". Et qui sait, le pères aussi pourraient y trouver leur compte, et gagner plus de liberté pour passer du "vrai" temps avec leurs enfants.
[1] 1. Teenage Parenthood : what’s the problem ? Claire Alexander, Simon Duncan and Rosalind Edwards (eds) The Tufnell Press (2010)