Je ne sais pas ce qui est le plus surprenant dans le scoop que Jill Pruetz et Paco Bertolani de l’Université de Cambridge nous ont ramené des forêts de Sénégal. Non seulement les chimpanzés peuvent fabriquer des lances pour chasser du petit gibier, mais c’est aux femelles que revient cette invention, toujours acclamée comme un grand pas en avant dans l’évolution humaine, et invariablement attribué... à l’homme. Pourtant, dans les 22 cas que les chercheurs ont observés, seules les femelles, imitées par leurs petits, se livraient à cette chasse à la lance.
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La fabrication de cet outil n’implique pas moins de quatre étapes : prélever une branche adaptée, arracher feuillage et branches secondaires, enlever l’écorce et aiguiser la pointe avec les dents. Après cela, la chasse est ouverte sur des petits primates qui se cachent dans des cavités d’arbres creux. Si on n’arrive pas à extraire l’animal du trou, on peut au moins le blesser et lécher le sang récolté sur l’arme. De quoi ébranler sérieusement notre image du mâle comme l’inventeur primitif, ainsi que notre idée de douceur féminine.
Coïncidence ou pas, les seuls exemples d’utilisation d’outils chez le gorille concernent aussi des femelles [2]. On se souvient des images étonnantes de la gorille qui traverse prudemment un étang en utilisant un bâton pour en tâter la profondeur. Thomas Breuer, du Wildlife Conservation Society au Congo, décrit également comment une gorille femelle plante un gros bâton dans un marais pour s’y appuyer en chercher de la nourriture dans l’eau, puis le dépose comme un "pont" pour traverser le sol marécageux.
Chez les dauphins, on retrouve la même inventivité féminine, et on peut même parler de transmission culturelle. Michael Krützen [3], de l’Université de Zürich, a pu observer comment les dauphins de Shark Bay se protègent le nez avec des éponges pour fouiller le fond marin. Il pense qu’ils l’utilisent comme une sorte de gant qui les protège de créatures nocives, cachées dans le sable. Cet "épongeage" reste largement une pratique féminine : seulement un des treize dauphins qui le pratiquaient était un mâle. Pour les chercheurs ce comportement est probablement transmis demère en fille, parce qu’elles passent beaucoup de temps ensemble.
Cette idée de transmission "matrilinéaire" est corroborée par une étude dans le magazine Nature. De leur mère, les jeunes chimpanzés femelles apprennent plus vite que les mâles comment récolter des termites. Les jeunes mâles préfèrent passer leur temps à jouer, suggère l’étude. On laisse aux chercheurs l’entière responsabilité de cette conclusion.
[1] Savanna Chimpanzees, Pan troglodytes verus, Hunt with Tools ; Current Biology, Vol 17, 412-417 http://www.currentbiology. com/content/ article/abstract ?uid=PIIS 0960982207008019& highlight=Pruetz.
[2] First Observation of Tool Use in Wild Gorillas. PLoS Biology Vol. 3, No. 11, e380 http://biology. plosjournals.org/ perlserv/ ?request= getdocument&doi=10.137 1/journal.pbio.0030380& ct=1
[3] Cultural transmission of tool use in bottlenose dolphins. PNAS 2005 102:8939-8943 http://www.pnas.org/con tent/102/25/8939. abstract ?sid=7bb8c433- 317e-4ee6-83a2- 96ef79423f86