Tafiole, camionneuse, folasse, hommasse, trop féminin, trop masculine,... Insultes, déviations du langage ordurières et souvent blessantes, toujours actuelles. Nous y sommes habitué-e-s. Petit-e-s, nos camarades déjà gavé-e-s d’homophobie nous crachaient du « tapette téléguidée  » pour décoiffer nos petits poneys mauves LSD ou notre sac koala, désormais espèce éteinte. On lançait des « garçons manqués !  » aux filles joueuses de foot, à celles qui résistaient, renvoyaient les baffes et remportaient les billes des « machinets  » désespérés.
Les questions de genre étaient déjà violemment tranchées. Découlaient dans une simplicité tout aussi violente les réponses du masculin et du féminin. Fille, féminine ; garçon, masculin. Le tour du grand « pénissien » était joué. J’ai rangé la robe au placard et ai couru les bras serrés et pliés le long du corps, seules les filles pouvant courir bras ouverts, ailes au vent, le papillon sans doute trop féminin au goût de mon oncle, trop viril, alors qu’il était chauve ?
Mais finalement, c’est quoi ce féminin et ce masculin ? Si on ne les lie plus au genre ou à l’orientation sexuelle ? Comment définir la qualité de ce qui serait masculin ou féminin sans tomber dans les grotesques stéréotypes ? Essayons de sortir des fatigantes catégories et sentences hétéro- normées : fille moustachue, masculine ; garçon fin et imberbe, féminin ; fille-bouchère, masculine ; garçon-coiffeur, féminin ; jeu cow-boy, masculin ; jeu poupées, féminin ; rose, féminin ; bleu, masculin… la liste est aussi longue que désagréable.
La jupe, dernier tabou ?
Les hommes hétérosexuels d’aujourd’hui ont depuis quelques années déjà adopté des caractéristiques dites « féminines » : prendre soin de son corps et de ses formes, être plus sensible, paternage des enfants, épilation douloureuse, chirurgie esthétique, bla bla bla. Ce que la société réservait aux femmes, elle le permet aujourd’hui aux hommes, mais dans les deux cas, ce n’est qu’une injonction supplémentaire à rester planté dans son genre et dans son adjectif adoré : rester masculin pour les hommes, bronzé, rasé, musclé – rester féminine pour les femmes, bronzée, rasée, musclée (mais surtout pas comme un homme).
A cette vision égalitariste dans le publicitaire et l’hygiénisme qui ne ser t, au fond, qu’à écouler la plus vaste gamme de produits en tout genre, répond celle, encore impossible, d’hommes, au-delà de leur orientation sexuelle, portant la jupe, la robe sans complexe, sans peur de se faire insulter, tabasser, émasculer. Si Coco Chanel et Yves Saint-Laurent ont « offert » aux femmes le droit de porter des pantalons, cela a été possible car le pantalon, habit masculin par excellence, était d’emblée jugé positif par la société. A l’inverse, la volonté, pour les hommes, de porter une jupe ne peut être que négative, signe flagrant de vouloir se féminiser, donc de faiblesse. Malgré les tentatives de stylistes réputés (Jean-Paul Gaultier, Dries Van Noten), nos sociétés occidentales brandissent toujours le port de la jupe par les hommes comme un interdit, une transgression dangereuse. Certes, le kilt écossais pourrait faire figure d’exception, s’il n’était pas le symbole d’un nationalisme macho, porté le plus souvent par des lourdingues, roteurs de bières, fiers de l’absence de slips sous leur habit, pour exhiber leurs attributs gorgés de virilité factice. De même, le port de sarrouels, djellabas et autres habits traditionnels sont eux-mêmes très genrés, notamment au niveau des couleurs.
Un site Internet essaie de rassembler des hommes qui ont simplement le désir d’être en jupe ou en robe car ils s’y sentent mieux. Il ne s’agit pas de travestissement ou de déguisement mais bien de mettre un vêtement quotidien qui soit enfin désexualisé mais adapté à la morphologie des hommes. Par raillerie, on l’espère, le slogan de ce site est « Les vrais hommes portent des jupes » et non pas « savent pourquoi ». Jupe contre bière, la virilité a du chemin à faire. [1]
La masculinité des homos
Plus que chez les hétéros, les notions de masculinité et de féminité ont toujours été plus prégnantes chez les homos. Les lesbiennes trop garçonnes ou les pédés trop fillettes sont des images fondamentales dans la construction de l’identité homosexuelle. Mais on constate depuis quelques années une disparition de ces « archétypes ». La tendance à la normalisation, à la conformation des corps et des apparences est de plus en plus nette.
Chez les gays, la virilisation en cours et quasi achevée est désespérante. La mode des bears en est un symptôme flagrant. Désormais les poils abondants, les muscles, les carr ures surdimensionnées sont devenus les attractions « foraines » du moment. Image de la force donc. Le PD est devenu un homme, un vrai. Enfin ! Exit les tapettes pailletées, crevettes alanguies et punks maniérés. La haine des « efféminées », des « folles » semble encore plus dure dans le milieu, renvoyant à celui-ci l’image « inaugurale » pour beaucoup de l’homosexuel type auquel on ne veut absolument pas correspondre. Quitte à broyer, à éliminer les mauvaises herbes trop folles au pesticide de testostérone et à coup de couilles trop remplies. Mais cette force de façade cache peut-être une peur de l’affirmation de sa différence, qu’il faudrait encore crier alors que, désormais, nos droits sont presque les mêmes que la majorité. Mais quels droits et quelle majorité ? Il n’y a rien de plus inquiétant qu’une minorité qui recrée une sous-minorité, et s’emploie à la réduire au silence et à l’invisibilité. En se coupant de ce qui faisait leur force et leur étonnante originalité, les gays s’hétéroïsent à l’extrême, aboutissant, par leur entêtement, leur obsession de la masculinité, à un masque barré de la même barbe, drue et dure, sèche désormais comme leur identité.
Comme le chantait si merveilleusement bien, l’oublié et disparu Néoboris : « Moi, je n’ai pas le crâne ras, je ne porte pas de bottes de para, mais je suis plus viril que toi » [2]
[1] Mouvement des hommes qui portent des jupes http://www.geocities.com/alternativefashion/
[2] Néoboris : http://www.myspace.com/neoboris