De quoi la ‘masculinité’ est-elle faite ? Que se passe-t-il dans des têtes d’hommes en ce qui concerne les relations de genre ? Que cachent les lieux réservés aux hommes ?
Et comment le savoir ? C’est à ces questions qu’a voulu répondre Norah Vincent, journaliste américaine (LA Times, The Advocate). Pendant 18 mois elle s’est déguisée en homme pour infiltrer, telle Candide, certains lieux typiquement masculins populaires et pour décrire ses expériences.
Norah étant féministe et lesbienne, on peut supposer qu’elle est en partie à l’abri de la mysogynie de base ; elle est pourtant revenue de ce périple avec une vision partagée des rapports de genre.. et du comportement des femmes.
Ses observations sont riches en leçons et son éclairage inédit nous fait découvrir certains aspects des hommes (et des femmes) qui nous avaient échappés. Elle commence son périple par la fréquentation d’un club de bowling, jeu américain populaire, choisi pour observer l’amitié entre hommes. Elle constate que, parmi ces hommes exerçant pour la plupart des métiers manuels, la solidarité et la camaraderie coulent de source. Dès la première poignée de main, elle se sent liée à ses nouveaux potes. Il semble s’agir d’un contact primitif immédiat, sans arrière-pensée. Elle observe aussi la façon dont la transmission opère entre père et fils : le père laisse le fils se familiariser avec la vie de façon assez brutale, par erreurs et tâtonnements, ce qui ne peut que l’endurcir. Mais aussi avec des conseils et des encouragements. Plus tard elle relèvera cependant à plusieurs reprises combien les hommes souffrent du manque de contacts avec leurs pères.
Ensuite elle passe un certain temps dans de minables boîtes de strip-tease en compagnie d’un copain à qui son père lui avait dit en guise d’éducation sexuelle ’Pour les femmes, contente-toi des 4 F : ‘Find’em, Feel’ em, Fuck’em and Forget’em’ ! D’abord choquée,‘Ned’ (le nom d’emprunt de Norah) explique qu’elle a ensuite compris que ces hommes-là, se sentant insécurisés par les ‘vraies’ femmes, ont besoin de caricatures de femmes telles que ces ‘poupées sans poils ni odeurs’ qui s’agitent dans ces endroits, pour consumer des pulsions dont ils ont souvent honte.
Dans le chapitre suivant, Ned s’applique à ‘sortir’ avec des femmes (dating), jeu auquel elle était pourtant habituée en tant que lesbienne. Mais ce n’est pas du tout la partie de plaisir à laquelle elle s’attendait ! Au cours de ces rencontres, elle se heurte à une présomption de culpabilité, comme si ces femmes hétéros ‘le’ blâmaient d’emblée pour tous les échecs encourus précédemment ! Ce qu’elle ressent, c’est que ces femmes se posent en victimes et refusent de ‘le’ voir comme un individu. En plus d’autres demandes déraisonnables, elles lui demandent d’être fort, de les protéger et tout le blabla traditionnel ! Dès la première rencontre, elle se sent tout de suite scrutée psychologiquement par ces femmes, de la même manière que les femmes se sentent d’ordinaire examinées physiquement au premier abord.
Expériences difficiles pour Norah parce qu’elle n’aime pas ce qu’elle voit, l’attitude de supériorité émotionnelle de ces femmes la rend presque misogyne ! Ce chapitre est cependant à conseiller à toute hétéro en quête désespérée d’un partenaire !
Lors d’un séjour dans un monastère catholique, lieu non-féminin par excellence, elle est intriguée par le manque de contacts physiques entre moines, qui d’après elle provient d’une grande peur d’homosexualité. Ces hommes, qui ont choisi de vivre entre eux, ont un grand besoin de l’approbation et du soutien d’autres hommes, dans une sor te de famille exclusivement masculine.
Ned choisit ensuite comme travail un boulot sans qualification, le démarchage de livres inintéressants. La méthode de travail imposée repose sur un langage et une mentalité des plus sexistes, avec du harcèlement sexuel de la pire sorte envers les collègues féminines. Ned s’aperçoit que l’uniforme (un costume-cravate) lui procure un sentiment de pouvoir qu’elle n’éprouvera pas souvent dans ses aventures d’espionne de la masculinité, contrairement à ses attentes.
Elle termine son investigation par un stage dans une sorte de groupe de thérapie pour hommes dont le but est de retrouver la ‘vraie’ masculinité perdue dans les années 70, et inspiré du livre de Robert Bly, Iron John.
Pendant ces sessions elle s’aperçoit, comme chez les moines, que ces hommes ont manqué de pères, de modèles, d’amour et de reconnaissance masculine, mais aussi qu’ils n’osent pas laisser tomber leurs défenses émotionnelles entre eux. Elle par ticipe même à une retraite de plusieurs jours, ce qui ne manque pas de l’angoisser par peur que sa supercherie ne soit découverte ! La retraite commence par un rituel un peu stupide, qui, pour Bly, vise à compenser la perte des rituels masculins, perte qui est pour lui la cause du malaise des hommes contemporains.
Pour les féministes, l’impor tance de l’image du corps dans l’estime qu’on a de soi semble évidente, mais Ned ne s’attendait pas à retrouver ces problèmes chez des hommes. Cer tains souffrent également d’être traités comme des objets.
Lors d’une session, on leur demande de dessiner leurs héros. Plusieurs par ticipants dessinent Atlas portant le monde sur ses épaules ! La mission qu’ils croient devoir jouer, celle de l’homme responsable de sa famille, pèse si lourd qu’ils éprouvent du ressentiment contre les femmes. Tout ceci ne fait que renforcer l’idée chèrement apprise de la toxicité des rôles genrés, qui vous empêchent d’être ce que vous voulez être.
Après ces 18 mois en agente secrète, Norah a eu un for t contrecoup. Elle croyait pourtant avoir surmonté la culpabilité d’être une imposteure, mais l’énergie qu’avait exigé l’effort constant d’une fausse identité l’a épuisée et elle a fait une dépression.
Heureusement son livre connaît un grand succès. Son aventure n’aura pas été vaine. Elle en sor t contente d’être une femme, mais se demande si hommes et femmes ne vivent pas dans des mondes parallèles, et son livre a le mérite d’éclairer un petit peu celui des hommes.