Peu de femmes ont réussi à se faire une place dans le monde de la BD alternative, monde encore très masculin et macho… C’est le cas de Julie Doucet qui a imposé son style et sa narration tant en Europe qu’aux Amériques.
Très jeune, elle édite un fanzine photocopié intitulé Dirty Plotte qui donnera lieu à plusieurs albums publiés au Canada. En argot québécois, Plotte signifie à la fois le sexe d’une femme, une fille habillée comme une pute ou une fille sexy. Tout un programme pour des histoires de sa vie quotidienne, de ses fantasmes, de sa vie à New York ou Berlin. L’idée de journal traverse toute son oeuvre quelle que soit sa forme : les New York Diaries en BD, mais aussi Journal qui suit, en dessins, 365 jours de sa vie au rythme d’une page par jour, et plus récemment J comme je, une autobiographie de 0 à 15 ans écrite avec des mots découpés dans des revues de femmes.
A la fin des années 90 elle abandonne la BD et se remet à la gravure, aux poèmes et aux collages. S’ensuivent de nombreuses publications et une production abondante de livres d’artiste, d’installations dans des expositions d’art contemporain. Julie Doucet découpe et écrit des mots dans tous les sens, elle les colle avec des images, des bouts d’images, comme pour cette magnifique couverture dont elle a fait cadeau au Scum Grrrls. Elle s’essaie aussi au son, à la performance. Julie Doucet est une touche à tout. Scum Grrrls l’a rencontrée à Montréal.
Scum Grrrls - En Europe, on connaît surtout ton travail en BD. Or voici plusieurs années que tu as décidé d’arrêter la BD pour faire d’abord de la gravure et de la sérigraphie, et maintenant des collages de textes, d’images ou de sons. Pourquoi ce changement ?
Julie Doucet - J’ai arrêté la BD parce que je m’y sentais tellement à l’étroit. J’en vivais mais mal. Il fallait que je produise, produise et je n’avais plus d’énergie pour autre chose. Et puis surtout c’est un milieu d’hommes, je me sentais tellement à l’étroit, avec les hommes, c’est des maniaques, des collectionneurs. J’avais envie d’essayer autre chose, d’autres techniques, après tout, j’ai fait les beaux arts. Je suis maintenant plus dans l’édition et dans l’art contemporain. L’édition aussi reste un monde d’hommes. C’est un peu moins le cas dans le milieu des galeries et des centres d’artistes à Montréal où on rencontre beaucoup de femmes.
SG - Qu’est-ce que ce changement de média a changé pour toi ?
JD - Avec les BD j’étais plus connue à l’étranger qu’au Québec. A présent, que je fais de l’Art , tout à coup je suis devenue quelqu’un à Montréal, c’est vraiment étrange. Mon problème ici c’est que je veux travailler avec des mots, mais surtout en français… alors que mon revenu vient surtout des Etats-Unis. En Europe, je ne sais pas trop qui pourrait publier le genre de choses que je réalise avecmesmots découpés. Le Seuil a publié mon autobiographie, mais depuis les personnes qui y travaillaient et que je connaissais ont démissionné, c’est plus difficile pour de nouveaux projets.
SG - Ton travail est centré autour de personnages de femmes. On sent que cela part d’un vécu de femme, sans être essentialiste… (rires). C’est aussi souvent assez cru sur le corps des femmes, comme dans ce travail sonore que tu as réalisé avec LaMathilde, artiste Montréalaise…
JD - Ce travail parle du corps de la femme, c’est inspiré de moi-même, toujours. Ce sont des poèmes créés à partir de mots découpés qui me restaient d’un autre travail et que je n’avais pas encore utilisés et puis j’ai décalé les mots… C’est assez autobiographique, j’ai changé de sujet et de vocabulaire. Je n’ai pas d’idée de ce que je veux faire mais l’idée naît du bagage sonore. Pour ces découpages, j’utilise beaucoup des vieux magazines féminins des années 50/60, comme Elle par exemple, les sujets sont assez rigolos et jem’amuse beaucoup avec le vocabulaire qui y apparaît.
SG - Sur quoi travailles-tu en ce moment ?
JD - Je voudrais refaire un projet similaire au journal qui couvrait 365 jours de ma vie, au rythme d’une page par jour, avec des choses mélangées. Je veux faire un livre mais je ne sais pas encore quoi mettre dedans, écrire avec des mots découpés… J’ai écrit quelque chose qui peut être présenté comme une performance, une pièce de théâtre, mais le livre reste mon médium préféré. Je suis dans une période où je ne sais pas quoi faire, je veux passer à autre chosemais je ne sais pas…Celame rappelle un projet que j’avais commencé avec un ami en 2000, le mouvement lent . On voulait faire la promotion de la lenteur, c’est resté assez lent…(rires) J’avais fait des petites affiches que je mettais partout en rue et des objets lents en sérigraphie et en carton. Finalement c’est moi qui ai tout fait et c’est pour ça que c’est devenu très lent. A Montréal ce qui est difficile c’est qu’il n’y a pas beaucoup de gens qui ont l’urgence de faire des choses. Les artistes ne se lèvent jamais, ne travaillent jamais… J’ai envie de partie de Montréal, ça ne bouillonne pas !