On sait bien qu’un solide préjugé conduit à de superbes lieux communs. Et donc, il est acquis qu’il y ait plus de pédés chez les coiffeurs.
Si ce genre de bêtises trouve son quota d’adeptes, c’est qu’il y a sans doute une parcelle de pas-tout-à-fait-faux dans cette quasi demi-vérité... Mais est-ce le fait d’être coiffeur qui a rendu le mec pédé, ou est-ce le pédé qui a choisi d’être coiffeur parce qu’il pressentait qu’il ferait un peu moins tache ? Bref, une nouvelle histoire d’oeuf et de poule…
Personnellement, j’ai choisi des options assez prévisisbles, à faire sourire celles qui s’y reconnaîtront : Je serai prof de gym. Ou assistante sociale. Ou cinéaste... Je n’échappais ni aux orientations attendues, ni aux clichés largement répendus. Peut-être me manquaitil l’option tradutrice pour compléter l’arsenal de la caricature lesbienne.
Un ensemble de circonstances m’a mené à faire du théâtre. Je m’y sentais à l’aise car tout s’y vivait de façon entière, passionnelle, quasi fusionnelle. Ce qui me plaisait- et qui me comble encore toujours, c’était le côté éphémère et unique de l’acte, tant dans la répétition que dans la représentation, une sorte de non-polluant avant la lettre.
A l’époque, je ne me définissais pas vraiment en tant qu’homo mais je n’ai pas tardé à découvrir que les gays étaient très présents, tant sur scène qu’autour de celle-ci. Non seulement je faisais ce que j’aimais mais, en prime, j’étais intégrée dans un monde où l’homosexualité était fréquente, banale. Mon environnement me semblait adéquat.
Après quelques années de pratique dans ce secteur d’apparence ouverte, je me suis rendu compte d’un certain déséquilibre.
Mais j’ai mis du temps à formuler la chose. Si les danseurs étaient ouvertement gays, les auteures étaient rarement gouines. Si le scénographe tourbillonnait, l’assistante longeait les murs. Si le chorégraphe exultait, la metteure en scène réfléchissait. Et si le costumier pirouettait, la régisseuse rechargeait sa batterie Ad libidum.
Au service de leur art, les garçons ne cachaient rien de ce qu’ils étaient, voire même le sublimaient, tandis que les filles niaient une partie essentielle de leur personnalité.
Dans ce domaine là, les gays revendiquent facilement leur identité, soit comme une fierté communautaire, soit comme une force particulière. Rares sont les lesbiennes qui en font autant. Combien osent s’afficher comme emblême ? Mes collègues-Nijinskis n’ont pas trop mal à se retrouver en première page de Têtu alors que mes collègues-Cahun se retrouvent plutôt à la 17-ième page du Journal du Médecin. A-t-on jamais soulevé la question de l’Art Lesbien avec le même sérieux et le même crédit qu’on l’a fait pour l’Art Gay ? Notez le terme générique qui tend à faire croire que la communauté homosexuelle est un joyeux mélange de binarité qui reconstitue… l’équilibre ! Mais regardons le pourcentage de lesbiennes icônes dans les études ou les dictionnaires spécialisés de cet Art particulier… C’est édifiant. Ce n’est pas tant la question d’une définition passable de ce fameux Art Gay, ni même les conclusions de ce pseudo débat qui m’intérressent. Car loin d’un pour ou contre, c’est l’absence des lesbiennes, et l’espace vide qu’elles n’envahissent pas, qui pose question. L’invisibilité des lesbiennes est un fait.
Pourtant, elles existent, j’en connais plein !
Bon nombre de mes comparses prétextent ne pas vouloir s’identifier à un mouvement, la question de l’appartenance serait réductrice. Elles réchinent à se faire identifier par un public qui les encombre plus qu’il ne les flatte. Trop disgracieux ? Et plus elles deviennent publiques, plus elles font comme si de rien n’était : Elles vont même jusqu’à s’auto-convaincre qu’en fait, si elles sont avec leur copine, c’est parce qu’elles sont tombées amoureuses de cette personne.
Et si cette personne est une femme, ce n’est qu’un hasard… Je ne dis pas que la bisexualité n’existe pas mais, quand même… Non seulement, elles se racontent des bobars mais en plus, elles se fabriquent une personnalité ouverte, moderne, tolérante…
Même si elles ne se cachent pas, elles mettent beaucoup d’énergie à se fondre dans l’invisilité, à se confondre avec le dominant. Serait-ce là le prix à payer pour avoir la paix et se sentir incorporée à un milieu où jusqu’il y a peu, les femmes ne pouvaient être que putes ? Est-ce par peur de ce rappel à l’ordre que ces créatrices contemporaines, libérées donc, n’admettent être lesbiennes que du bout des lèvres ? Comme si la question était superflue ? En tous les cas, si elles admettent quand même leur homosexualité, celle-ci a besoin de quelques restrictions. Je ne prendrais pas la peine d’en parler si le phénomène était rare, mais c’est à force d’entendre ces précisions répétées avec vigueur que je réagis : Je m’étonne toujours de ces femmes qui sont lesbiennes mais pas cammionneuses, qui sont lesbiennes mais pas butch, qui sont lesbiennes mais pas féministes... Intéressant.
Je ne dis pas non plus que les artistes doivent tonitruer leur homosexualité, et encore moins que c’est un label de qualité, mais je dis que dans un milieu ouvert et encore plus si un personnage devient public, réchigner à assumer ce qui est si simple à vivre dans sa professsion, alors que c’est si difficile pour d’autres, je dis que ces personnes m’énervent.
Mes amies du théâtre m’ont énervée. Qu’elles soient actrices, graphistes, scénographes ou autres, elles m’ont de plus en plus énervée. Car plus elles revendiquaient leur invisibilité plus ma propre homosexualité me marginalisait... Chacun fait ce qu’il veut, donc je les ai laissées. J’ai déplacé mes amitiés vers des gens qui n’avaient pas peur de se définir ni de prendre des risques à des endroits improbables, à des endroits moins clichés, à des endroits forcément plus militants. Je n’ai pas rompu .Tout cela ne m’a aucunement coupée de ma pratique professionnelle, au contraire, ce glissement a eu pour mérite de séparer le travail et l’amitié.
La pratique, sur et autour de la scène, me
laisse pourtant un goût acide. Car le théâtre
et son milieu- peuvent être des lieux
terriblement conservateurs. Là où on prétend
repenser le réel, où l’on prétend avoir,
parmi d’autres, pour tâche de refléter failles
et injustices de la société, là où l’on prétend
réinventer l’esthétique, où l’on s’arroge
le droit à la parole publique, là où,
sans vergogne, on se pose en observateur
du commun des mortels (mais quel
métier merveilleux vous faites là), le théâtre
et la scène sont malheureusement et
beaucoup trop souvent des lieux où l’on
conforte les idées les plus rétrogrades, les
images les plus archaïques et les poncifs
les plus consternants.
Car, bien sûr, au théâtre, les coiffeurs sont pédés, de même que les femmes sont des putes, des mères ou des infirmières. Bien sûr qu’au théâtre les danseurs ont de la puissance, alors que les danseuses ont de la grâce… Et bien sûr que les créateurs plus rebelles parmi les rebelles, en bon soumis du système, relayent ces lieux-communs, tout en affirmant les dénoncer. Pire, ils les enseignent… Mais là, je m’égare.
Au théâtre, comme partout ailleurs, et même si ami-amie, un garçon n’est pas égal à une fille, un pédé n’est pas égal à une gouine, et par la même occasion, un homme n’est pas égal à une femme. Drôle de chemin pour arriver à ce constat d’une écrasante banalité…
De la poule ou de l’oeuf, j’en suis toujours à me demander ce qui est inné et ce qui se construit. Aujourd’hui, j’en arrive à la conclusion que ce n’est qu’une question de travail. Le fossé qui sépare les hommes des femmes, aussi. Leur représentation est totalement à revoir.
Je ne suis à l’aise qu’avec ceux qui, quelle que soient leurs identités sexuelles ou identitaires, ont pour préoccupation de remettre en question ce qui se pratique, ceux qui déconstruisent – ou ont déconstruit – suffisemment les habitudes et les pratiques. Le parrallèle entre cette démarche et la démarche théâtrale est évidente. Car si on veut donner à voir, à penser ou à entendre ce que les individus pratiquent entre eux, il faut d’abord regarder, comprendre, refuser, déconstruire, accepter, répéter, construire, recréer, fignoler, buter, interroger… Et seules les scènes qui reflètent ces préoccupations m’intérressent encore.