Pour Meriem Belaala, travailler pour les droits des femmes comprend surtout des activités concrètes de terrain †de tous les jours et presque 24h/24 ! Dans cette interview, elle nous fait part de ses analyses, de ses perspectives, et des enjeux des droits des femmes en Algérie.
Meriem Belaala est la Présidente de SOS femmes en détresse depuis 1998. A la tête d’une association qui, essentiellement, a été fondée par un groupe d’anciennes militantes de la guerre de libération nationale, elle souligne la nécessité de voir une continuité dans la lutte des femmes en Algérie : « Il ne faut pas oublier qu’il y a eu des femmes très courageuses, et notamment les femmes algériennes dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. C’est important de ne pas croire qu’on recommence à zéro, mais qu’il y a des nombreuses femmes de l’histoire de l’Algérie qui ont mené un combat pour la liberté et la solidarité dans ce pays. Il faut les reconnaître et il faut nous inspirer d’elles ! ».
Quant à la perception du féminisme, et si elle-même se considère féministe, Meriem répond : « En fait je ne sais pas ce que ça veut dire exactement ‘féministe’. Pour moi c’est trop vague. Moi, je dis tout simplement que j’agis pleinement pour les droits des femmes et je m’investis totalement. Si cela veut dire féministe, alors je le suis ! Mais pour que ce mot ait sa pleine signification, je crois qu’il faut le démontrer par des véritables actions de terrain ».
L’association SOS femmes en détresse se définit comme une association pour les droits des femmes et comme une association humanitaire. En raison du contexte social en Algérie, Meriem insiste sur l’importance des deux piliers. L’association a toujours agi surtout sur le terrain, et selon Meriem, ce travail est primordial en Algérie « parce que les besoins sont énormes. Donc, la présence sur le terrain est hyper importante, c’est-à-dire qu’il s’agit presque, finalement, d’une question de vie ou de mort pour les personnes qui se retrouvent démunies, dans la rue – tant des femmes, tant d’enfants ! Il y a urgence. Il faut travailler, il faut être mobilisé pratiquement 24h sur 24 ».
« Les violences envers les femmes en Algérie sont multiples »
SOS femmes en détresse travaille plus particulièrement contre toutes formes de violences et a mis en place un centre d’écoute et un centre d’accueil pour les femmes victimes des violences. Les violences que subissent les Algériennes sont multiples et de caractères différents. Selon Meriem, une des formes la plus importante est la violence institutionnelle, et surtout le code de la famille qui stipule l’inégalité entre les femmes et les hommes sur le plan juridique. « Moi, j’ai toujours dit que la violence envers les femmes, et notamment le code de la famille qui est une violence institutionnelle, est un drame humanitaire en Algérie. Quelque part cette violence institutionnelle est la violence la plus importante. Le code de la famille est une loi qui a fait que beaucoup de violences envers les femmes deviennent légales, et donc légitimes ».
Depuis la création du code de la famille en 1984, les Algériennes n’ont jamais arrêté de lutter pour l’abrogation du code de la famille. Finalement le gouvernement a nommé une commission pour étudier des éventuels amendements du code de la famille. Mais les amendements proposés en 2004 par la commission ont rencontré beaucoup de résistance parmi les différents groupes conservateurs. Meriem n’est pas si surprise. Elle souligne pourtant que « ces amendements ne sont même pas pour l’abrogation du code de la famille, mais il s’agit seulement de quelques changements » [1]
A côté de la violence institutionnelle, les violences conjugales sont aussi importantes et la situation socioéconomique et la crise de logement en Algérie ne font qu’aggraver la situation pour les femmes. « Une majorité des femmes victimes de violence sont des femmes qui n’ont pas la possibilité d’avoir de logements, même si parfois elles ont un travail. Donc pour beaucoup de femmes, même si elles se révoltent, même si elles veulent s’en sortir, elles sont conscientes qu’elles n’ont rien à côté. ».
Meriem continue, « Mises à part les violences conjugales, il y a aussi les violences familiales qui sont assez importantes. Tu as par exemple des filles qui font des études, et un jour on leur dit : ‘C’est bon, maintenant vous allez rester à la maison’. Ça peut autant être des frères ou des mères, ou même des soeurs qui perpétuent la violence dans la famille ».
Les cas de violence familiale sont quelque chose de très difficile, parce que porter plainte contre son frère ou son père, ou contre sa mère, est énorme. Meriem explique que dans ce genre de cas « tu as toute la société qui peut être contre toi, qui te dit que ce n’est pas possible de porter plainte contre ton frère ou contre ton père. Leur seule possibilité à ce moment-là, c’est de quitter la maison, et donc d’être en rupture totale avec la famille ».
En Algérie, comme partout ailleurs, beaucoup des femmes subissent également des violences sexuelles, même si cela reste encore un sujet dont on parle trop rarement. Cependant Meriem Belaala voit un changement chez les femmes « C’est vrai que c’est une question taboue, et que les femmes en parlent très difficilement. Mais on a remarqué que quand même ces dernières années, il y a de plus en plus de femmes qui appellent notre centre d’écoute et qui en parlent. C’est grâce aussi au fait qu’en téléphonant au centre, les femmes peuvent rester dans l’anonymat absolu ».
Les années terroristes, une période extrêmement difficile pour les femmes
Le code de la famille avait été voté par une assemblée de conservateurs en 1984 avant que le pays connaisse les élections démocratiques. Meriem raconte « Normalement cette loi aurait dû changer dès l’ouverture démocratique à partir de 1990. Mais le problème c’est que, malheureusement, la démocratie a plus servi les intérêts des islamistes. Dès qu’il y a eu les élections et que le FIS les a remportées, je dirais malhonnêtement, ils ont commencé par menacer les gens en disant qu’ils allaient changer les habitudes alimentaires et les tenues vestimentaires de tout le monde. C’était aussi naturellement ce que demanderont plus tard les terroristes. Les années avec le terrorisme ont été une période terrible pour les femmes, malgré une grande résistance… »
Pendant les années terroristes, des milliers de femmes ont été violées. SOS femmes en détresse a mené plusieurs actions de solidarité et a apporté un soutien concret aux femmes victimes du terrorisme. Meriem désapprouve le manque de reconnaissance de ces femmes victimes : « C’est encore une double violence, parce qu’il y a eu les viols des terroristes, et au niveau institutionnel la non-reconnaissance de ces femmes comme victimes du terrorisme à part entière, fait que ces femmes n’ont aucun statut, et n’ont droit à aucun soutien de l’Etat. »
La résistance des femmes contre le terrorisme n’est pas reconnue
La résistance de la société civile contre le terrorisme a été très importante, et il y a eu des manifestations spectaculaires. Les femmes étaient en majorité dans ces manifestations. Meriem Belaala se rappelle : « Il y avait une mobilisation extraordinaire. Malgré toutes les menaces, il y a eu beaucoup de femmes qui continuaient quand même à agir dans les associations, et elles allaient à leur travail, même si elles savaient que le soir, elles n’étaient pas sûres de revenir chez elles ».
La résistance des femmes contre le terrorisme est reconnue par tout le monde. Meriem fait des parallèles entre cette résistance et la lutte des femmes algériennes pour l’indépendance de l’Algérie. Surtout quant à la non-reconnaissance des femmes une fois les événements cruciaux passés. « À ce moment-là en Algérie on disait aussi que c’était les femmes qui sauveraient le pays, comme pendant la lutte pour l’indépendance. Encore une fois on nous a félicité pour notre résistance, pour notre courage. Pendant la guerre de libération, les femmes ont mené le même combat que les hommes, et elles ont été reconnues internationalement pour leur courage, pour leur militantisme. Et puis, après l’indépendance, on leur a demandé de retourner à leurs fourneaux. La même chose donc dans les années 90 où l’on disait : ‘formidable, les femmes vont sauver le pays, elles vont, elles vont, elles vont…’. Et puis, on peut dire qu’à partir de 1998 quand le terrorisme n’était plus aussi fort qu’ en 92-95, il y a eu un revirement assez important. Les femmes, on ne leur a pas dit : ‘c’est bon, retournez à vos fourneaux’, mais elles n’avaient plus la même considération, elles ne comptaient plus. Elles étaient là, et puis c’est tout. » Par rapport aux années terroristes, la lutte pour les droits des femmes en Algérie aujourd’hui n’implique pas les mêmes enjeux, les mêmes dangers, « C’est sûr qu’il peut y avoir des dangers, c’est normal, la violence existe toujours, même si ce n’est pas une violence terroriste. Mais avoir survécu au pire, je pense qu’après, c’est du gâteau … le pire est passé. »
Les adversaires des droits des femmes
Je demande à Meriem Belaala comment elle explique que les femmes deviennent les cibles de toutes sortes de mobilisations qui se disent ‘religieuses’, tant au niveau des islamistes, des chrétiens, ou d’autres, comment le code de la famille est devenu si important pour les islamistes en Algérie par exemple ? Sa réponse est très directe « Je crois que les hommes ont toujours trouvé des subterfuges pour pouvoir asseoir leur tyrannie et leur pouvoir, et chacun va utiliser ce dont il dispose. Les uns vont utiliser la religion, parce que la religion est quelque chose de très fort, et ça touche quand même la société. Donc les gens vont avoir peur à chaque fois, surtout s’ils ont la foi, s’ils sont croyants. » Pour Meriem Belaala, la lutte pour les droits des femmes est étroitement liée à la lutte pour la démocratisation et celle des changements sociaux en Algérie. C’est pourquoi elle déplore encore plus le fait que le rôle primordial des femmes dans la société ne soit pas reconnu : « La plupart du temps, les femmes font un travail colossal à tous les niveaux. Elles vont lutter au niveau social, au niveau économique, au niveau politique dix fois plus que le ferait un homme. Et pourtant ce n’est pas considérés, et pour que ça puisse être reconnu, il faut d’abord qu’elles soient reconnues comme citoyennes à part entière par les pouvoirs publics euxmêmes. C’est ça le problème ! »
« Les choses doivent changer et elles vont changer ! »
Quand je pose la question à Meriem Belaala de ce qu’elle pense du futur, et surtout des possibilités de voir des changements importants pour les femmes en Algérie, il est évident que Meriem n’est pas seulement une femme d’une énergie singulière, mais aussi une optimiste plutôt ‘réaliste’ : « Moi je suis optimiste. Même si la chape de plomb est là, et elle est assez importante, j’ai quand même l’espoir que les choses vont changer ! Je sens que les choses bougent ! Peut-être pas très rapidement, et il faut peut-être pas être trop gourmande non plus, Mais forcement, ça ne peut qu’arriver, les choses doivent changer et elles vont changer ! In ch’allah » Interview avec Meriem Belaala à Alger, sous la neige, janvier 2005. Malin Björk
L’association SOS femmes en détresse :
Campagne pour l’abrogation du Code de la famille en Algérie :
[1] Au moment de l’interview, les amendements en question n’avaient pas encore été présentés à l’Assemblée nationale ni au Conseil des ministres, et compte tenu de l’opposition dans l’assemblée, le président Bouteflika a finalement dû légiférer par ordonnance en février 2005 plutôt que de passer par l’Assemblée nationale. Même si ces changements du Code de la famille représentent une amélioration, ils ne stipulent d’aucun façon l’égalité juridique entre les femmes, et les hommes..