> Les numéros > Scumgrrrls N°13 - Printemps / Spring 2008

A force de baisers, elles ont fini par se reproduire

On m’aurait dit, il y a 10 ans, que j’allais un jour décider de faire un bébé sans père avec ma compagne, j’aurais hurlé : mais ça va pas la tête ? Ayant mà»re­ment réfléchi àla question (et pour l’avoir vécu dans une première co-parentalité), je plaidais pour l’élargissement de la famille, pour la multiplicité des modèles parentaux mais au grand jamais, je n’aurais fait le choix de démarcher dans un sens où la paternité serait d’emblée écartée du processus… Je dois même avouer que j’éprouvais une certaine perplexité devant les ­lesbiennes avant-gardistes qui recouraient aux techniques ­d’insémination…

Les temps changent et avec eux, ma justification du besoin inconditionnel de père s’est réduite à une peau de chagrin… Inou.i ce qu’un argumentaire peut virer à 180°, avec la même honnêteté et la même entièreté, en fonction des phases de vie dans lesquelles on est… et des avancées sociales, politiques et techniques de ces dernières années, certainement non négligeables.

« Il y’a que les imbéciles qui… », je vais donc revenir quelques pas en arrière pour raconter l’expérience du troisième type que ma compagne et moi venons de vivre.

Le désir d’enfant s’est posé assez rapidement pour nous. Mais comme j’avais dépassé la quarantaine, je faisais plutôt boulet que locomotive dans cette affaire. Elle, par contre plus jeune, jouait plus avec l’idée que n’était prête à passer à l’acte. A ce rythme, on n’y couperait pas, le temps passerait… et point.

Alors que, dans un moment de détente pure, je regardais une de mes émissions favorites, une de celles produites par la BBC où on voit des lions et des grands espaces avec des commentaires sublimes du genre : la femelle blablabla et le mâle ­blablabla, ma compagne et moi avons eu quelques échanges divergents sur la célèbre question de l’horloge biologique. Peut-être interprétais-je son désir d’enfant lié au décompte de ses ovocytes, alors que les miens, raplapla depuis un certain temps, m’avaient fait évacuer cette possibilité… Féministe de plus longue date et bardées de lectures remue méninges, elle réduisit en poussière la faiblesse de mon argumentaire car le soi-disant déterminisme biologique servait avant tout à la construction d’un déterminisme social et idéologique… Ca, je n’avait aucun mal à l’admettre. C’est vrai qu’en plus, le fait d’enfanter ne m’avait jamais fait fantasmer. Mais devenir ­parent, encore, à mon âge ? Pourquoi tant de scrupules alors ? Les hommes se posent-ils autant de questions lorsqu’ils ­deviennent parents passé 40 ans ? ou leur fameux déterminisme (lequel) leur épargne-il ce problème ?

Un genou à terre, je lui dis : ok mais alors tout de suite ! Et nous voilà à imaginer les façons possibles de « tomber » enceinte.

Fébriles, nous téléphonons à l’AZ VUB (best shop in town paraîit-il). La voix sur le répondeur est encourageante puisqu’on nous annonce : « bien venue au Centre de Repro­duction ­Humaine ». Exit l’approche sexuée dans cette introduction, super début. Par contre, lorsque nous expliquons que nous aimerions nous faire inséminer toutes les deux en même temps avec le sperme du même donneur et que nous arrêterions une fois la première de nous deux matchée, les yeux de notre interlocutrice s’exorbitent. Et hop, nous voilà expulsées vers le département de psychologie. Au purgatoire (et donc quelques mois plus tard…), nous expliquons que notre démarche était ludique et que nous voulions laisser le hasard décider de qui serait la mère biologique. La psy sourit et, d’un air complice, nous dit que nous avons affaire à des médecins et qu’il ne faut pas trop leur en demander… à demi-mots, elle nous susurre que si nous nous conformons au modèle du couple hétéro normé, tout ira bien… Et d’un clin d’oeil conspirateur, nous quittons son office, bien décidées à faire le nécessaire pour obtenir le résultat escompté.

Et nous voilà parties pour une série de rendez-vous où, devons-nous bien le reconnaîitre, la salle d’attente nous fournira chaque fois matière à réflexion, nécessaire à évacuer notre propre angoisse.

Qui sont nos semblables ? Quels modèles de paires avons-nous là ?

D’innombrables binômes hétéros. Ils affichent souvent des têtes d’enterrement. C’est vrai que pour eux, leur présence en ces lieux signifie un échec, en tous les cas l’échec de la « nature », l’échec de « la façon normale » de faire des enfants. On sent le couple dans une épreuve, chacun réagissant à sa façon, très peu de paroles amoureuses, encore moins d’échanges entre couples affligés, un peu comme si chacun regardait les autres avec les statistiques en phylactère : qui d’entre-nous sera dans le trop faible pourcentage de réussites ?

Quelques femmes seules. Nous spéculons sur leur statut d’héroïines-célibataires dans la quête du « j’aurai mon enfant » ou de celles rendues solitaires pour cause d’indisponibilité du conjoint, et du coup d’apparence plus vulnérable. On repère facilement les mères ou amies qui prêtent leur main réconfortante aux isolées de facto.

Quelques lesbiennes, comme nous. Là non plus on ne se parle pas. Pas la peine d’infliger aux autres une sororité improvisée reposant sur une appartenance communautaire qui pourrait paraîitre excluante. C’est vrai que pour nous, être là est un acte joyeux, une option inimaginable quelque temps plutôt, une incroyable mise à disposition d’une pratique technique. Cette opportunité positive a du mal à cohabiter avec l’apparent échec vécu par nos semblables hétéros. Mais gardons-nous de tout triomphalisme : nos pourcentages de chances sont les mêmes que les leurs.

Dans la catégorie lesbienne, on repère vite celles pour qui le mot « out » déclenche le « vade retro » mais qui concèdent néanmoins à venir faire l’excursion nécessaire pour fonder leur petite famille. D’autres arrivent déjà avec un premier enfant, symbole de réussite du service hospitalier mais aussi miroir angoissant pour tous ceux qui attendent leur tour : auront-ils eux aussi la joie de tenir un petit monstre dans leur bras ? Ensuite viennent les lesbiennes Thalys qui montrent ostensiblement qu’elles sont en République belgicaine et apportent autant à l’International Touch de l’hôpital que ces couples venus des Emirats. Apparemment le service, de réputation mondiale, attire une riche clientèle venue de par là. Ces couples, reconnaissables à leurs vêtements cou­vre-tout, sont toujours accompagnés de la même traductrice-maison qui les accompagne dans le dédale des multiples examens et actes médicaux. Dans cette salle d’attente, où une même démarche unit tous les patients patients, cette cohabitation momentanée entre femmes voilées, femmes couplées, femmes isolées et femmes doublées a quelque chose de magique.

Ici, rien ne se dit, mais tout se pense.

Pour nous, qui sommes aussi repérables que si on avait un L tatoué au milieu du front, il y a cette réflexion lancinante : tout homme croisé dans n’importe quel couloir, dans n’importe quel service, qu’il soit consultant ou consulté pourrait être NOTRE donneur. Cette idée nous rend l’humanité plus belle, plus confiante car, au bout du compte, nous savons que qui qu’il soit, et quelle que soit la raison qui l’a amené à se décider, ce donneur a commis un acte de don, un acte purement altruiste. Face à une telle pensée, tous ces ILS croisés nous paraissent magnifiques !

C’est vrai qu’on l’a bien pesée et sous pesée cette question du donneur anonyme. Si l’acte reproductif est d’une simplicité stupéfiante, les modèles de parentalité sont par con­tre multiples et complexes. L’inventivité des modèles pratiqués depuis la nuit des temps et la panoplie des us et coutumes montre bien que les règles morales ne font que contraindre alors que celles du code civil n’encadrent souvent que fort mal. Même si l’absence du père ne fait pas loi, les faits montrent que la reproduction sans paternité effective est d’une récurrence confondante... Alors cette prétendue NECESSITE du père ne semble servir que ceux qui, comme moi avant d’approfondir la question, pensent assez peu mais répètent beaucoup.

Ce n’est pas que je voudrais nier la reconnaissance du rôle des pères, car beaucoup en sont et deviennent effectivement parents, mais demanderais simplement de reconsidérer ce super-cliché dont j’étais moi-même si fervente : un enfant a besoin tant d’une mère que d’un père. La parentalité se serait-elle pas plutôt une aventure commune entre adultes et enfant(s) où les attributions de genre ne seraient que modèles à répéter, à faire péter ou simplement à reconsidérer ? On l’aura compris, la déconstruction du genre est infinie pour qui s’y intéresse.

Le désir d’enfant s’éprouve entre adultes, qu’ils soient 2, 1 ou plusieurs. Dans notre cas, nous n’avions pas envie de partager notre parentalité avec l’un ou l’autre couple d’amis. Aussi, nous sommes rapidement arrivées à la conclusion que si le donneur ne s’imposait pas à nous, ce n’était pas la peine de le chercher. Il faut aussi avouer qu’on s’est senties peu reluisantes quand, par semi-jeu ( ?), nous avons scanné notre entourage masculin à la re­cherche du donneur idéal : eugénisme évident, instrumentalisation d’un XY dont on ne voudrait pas s’encombrer à long terme, bref tout malsain.

Que l’enfant ait besoin au cours de son évolution de s’identifier ou de se confronter à des XY est évident mais il appartient alors aux parents de lui offrir ces possibilités de relations, en ouvrant, par exemple, la cellule familiale à d’autres influences. C’est le rôle des proches et des amis. Mais qui sait où, et qui ils seront ? Qui peut gager du futur ? Je reste convaincue que la famille biparentale reste un cauchemar que nous nous devons de déconstruire. Serait-ce donc cela la fameuse réinvention de la famille homo ? En y repensant, l’effarement de notre première interlocutrice (qui nous avait relégué au département psychologie pour avoir osé proposer la double insémination) était symptomatique : si deux hétéros ne peuvent avoir d’enfant porté par les deux parents, et qui plus est, au risque de les porter même temps, pas question que les homos puissent le faire. Mais n’est-il pas dans notre culture d’homo de remettre en question cette hétéro normativité ?

Donc le donneur anonyme. Et la joie de cette salle d’attente, parce il y a de l’espoir et de la vie. Après beaucoup d’attentes et multiples visites, il semble qu’un petit machin s’accroche dans le ventre.

Lors de notre dernière consultation au Centre de Reproduction Humaine (à 6 semaines de grossesse), la fameuse visite où l’on vous souhaite tout le bonheur possible et où nous remercions en pleurant l’ensemble des personnes qu’on a croisées, qui nous ont aidées et commis les actes techniques, nous repérons dans la fameuse salle d’attente, deux amies à nous… L word, c’est pas qu’à la télé ! On savait qu’elles avaient entamé le processus mais de là à les voir assises là, à la même place que nous dans cette salle d’attente… Un nouveau coup de magie.

Même si nous n’avons pas pu réaliser la démarche à laquelle nous avions rêvé quand nous imaginions « comment » tomber enceinte, il semble que nous soyons assez bien comprises par notre entourage hétéro. Notre ré­cent enfantement représente quelque chose de doublement extraordinaire pour eux. C’est bien la preuve qu’il y en a eu du changement, tant social que politique. Et si des doutes persistent, ils ont bien du mal à ne pas renvoyer à leurs propriétaires le peu de profondeur de leurs fondements…

Oui, nous nous multiplions. La technique est super au point, la législation suit (même si des lacunes évidentes montre bien que les lois sont passées au chausse-pied), la tolérance sociale change et nous voilà donc dans une nouvelle ère. La science-fiction a souvent abordé le thème de la reproduction « artificielle », c’est ce que nous venons de vivre avec le plus grand naturel. Tout ceci n’a ni été plus facile ni plus difficile que pour n’importe quel couple. Mais je dirais que nous avons eu une chance supplémentaire : celle d’avoir dissocié le sexe de la reproduction. Parce que de nos jours, il est de plus en plus rare de « tomber enceinte », ce qui rend, d’après de nombreuses confidences, la pratique amoureuse besogneuse aux moments propices. L’angoisse grandissant à chaque nouveau retour des règles, certains couples y perdent le désir, quant à la jouissance partagée, on oublie. La reproduction sans nécessité de sexe ou le sexe sans contrainte ni objectif de reproduction, voilà qui pour moi est le plus intéressant pour notre statut d’humain. Ne nous étonnons donc pas de la colère de ceux qui préfèrent aller chasser tandis que leurs femelles protègent leur progéniture…

EN

Science fiction has often used the theme of reproduction without ­paternity, this is today a very real and possible solution for many women. ­Although the new reproductive technologies might not be as radical as science fiction, these technologies do bring change and enable the ­formulation of new and different questions. Here are some thoughts from a waiting room.

NL

Science fiction heeft dikwijls haar inspiratie gezocht in het thema reproductie zonder vaderschap, maar vandaag is het een heel reë le mogelijk­heid voor veel vrouwen. De nieuwe reproductieve technologieë n zijn ­misschien niet zo radicaal als science fiction, maar ze brengen wel heel wat verandering, en maken het ook mogelijk nieuwe en andere vragen te stellen. Een paar overdenkingen in de wachtzaal.