Ce ne sont pas les raisons de vouloir Âarrêter les règles qui manquent : douleurs, handicap, inutilité, prix, écologie, santé, etc. Mais ce ne sont pas ces raisons qui servent à justifier le discours Âculpabilisant de toute une industrie recherchant le profit et d’un système de société basé sur le patriarcat. Les raisons que nous brandissent ces deux sphères de pouvoir sont : la toute puissante lutte contre l’impureté, l’obsession de l’hygiène, la gestion du tabou, le devoir d’invisibilité de ce qui est jugé sale ou pas bandant.
Les messages envoyés aux adolescentes et aux femmes sont contradictoires : avoir ses règles est une expérience traumatisante mais il faut se comporter normalement, avoir ses règles, cela symbolise une maturité sexuelle universelle (qui est publique), un rite de passage, mais cela doit rester secret. Le langage joue la culpabilité : le terme « Hygiène féminine » n’implique-t-il pas un besoin/manque d’hygiène ? Dans de nombreuses cultures, les femmes réglées sont tenues à l’écart des hommes.
D’ailleurs pourquoi appelle-t-on cela des règles ? Ca veut dire quoi une femme réglée ? Réglée comme du papier à musique ? Assujettie à certaines règles, à une discipline morale ? Qui se fait dans les formes ? Selon le Littré, « une fille réglée, c’est une fille dont la menstruation a commencé. C’est une femme bien réglée, mal réglée, une femme dont la menstruation est régulière, irrégulière. Règle a pour racine le latin regula ».
Ecologie et nature
Plus de 71% des femmes n’apprécient pas d’avoir leurs règles tous les mois. 69% des gynécologues femmes estiment que la suppression des règles à long terme n’offre pas de risque au niveau de la santé, 1% que c’est malsain… 26% des femmes allemandes de 26-35 ans souhaiteraient les supprimer (contre 29% déterminées à continuer leur dose mensuelle). Or, beaucoup de femmes, trop encore, continuent à se coltiner des règles dont elles ne veulent pas. Maintenant qu’il existe des moyens plus ou moins simples pour les supprimer, pourquoi ne pas en tirer avantage ? En tête de peloton, les méthodes contraceptives, qu’il s’agisse de prendre la pilule en continu ou la mini-pilule. Ensuite on peut prendre des hormones sous forme de cachet, de patch, d’anneau, d’injection etc… Il y a peu de temps encore une méthode évidente quand on devait arrêter d’être réglée pour des raisons médicales consistait à pratiquer une hystérectomie, pas la meilleure méthode sans doute... A présent certains préconiseraient même des méthodes dite « naturelles », liées à des régimes par exemple. Il semblerait notamment que l’absence de consommation de viande espace la fréquence et diminue la douleur des règles. A vérifier toutefois…
Quand on parle de supprimer les règles, on a toutefois droit à une sacrée levée de boucliers et on ne compte pas les prises de position des nombreux et ardents défenseurs de « la nature »…, de la nature des femmes, j’entends. « Ce n’est pas naturel » reste l’argument à brandir lorsque plus rien d’autre ne marche : les hommes l’utilisent, les médecins aussi, et les femmes elles-mêmes refusent souvent de prendre des hormones synthétiques pour la même raison. Et je ne parle même pas d’histoires d’harmonie avec la lune et autres fariboles…
Comble de l’absurdité : les saignements provoqués par la pilule traditionnelle ne sont pas des règles mais un simulacre, sans aucune utilité. Pourquoi ces fausses règles ? Pour maintenir la femme dans une dépendance ? Pour handicaper la femme une fois par mois, pour lui rappeler le lourd devoir d’enfantement ? Et si ça a la couleur et le goût de la nature mais que ce n’est pas la nature, est-on plus à même de l’accepter ?
En moyenne, une femme utilisera environ 15000 serviettes hygiéniques et tampons au long de sa vie. Plus de 12 milliards de tampons et serviettes se retrouvent sous forme de déchets annuellement, alors qu’ils ne sont utilisés qu’une fois et pour quelques heures (pour plus d’info sur les moyens alternatifs, voir N°1 du Scum Grrrls ou www.scumgrrrls.org). Par femme, on compte 150 kg de déchets liés aux menstruations. Et tant qu’on en est à parler de nature, n’y aurait-il pas là un petit souci écologique ? Mais les règles c’est aussi une histoire de gros sous, qu’il s’agit d’entretenir. Les prix élevés (tellement élevés qu’on est en droit de se demander s’il n’y a pas un effet psychologique destiné à exacerber la culpabilité) des « produits hygiéniques féminins » sont pratiqués par une industrie qui joue tacitement sur les complexes des femmes et sur les préjugés véhiculés par une société patriarcale, comme en témoignent la plupart des campagnes de pub pour ces produits. Alors continuer à avoir ses règles, n’est-ce pas aussi entretenir une industrie idéologiquement néfaste ?
l’Utérus contre le Cerveau – conflit hist-é/o-rique
Entre le savoir scientifique (c’est-à-dire un savoir distancié) et la connaissance pragmatique (vivre avec) gîit un fossé. Un médecin peut-il soigner ce qu’il ne connaîit pas, n’a jamais expérimenté ? Oui, pourquoi pas (on est loin de la pudibonderie et du séparatisme des moeurs du 19ème), mais peut-il comprendre ce rapport particulier et périodique à la douleur et au mal-être ? N’est-il pas improbable de lier une science du bien-être à une connaissance empirique ?
N’est-il pas incroyable que la médecine ait tant progressé et qu’elle ne se soit jamais intéressée à améliorer la condition des femmes en matière de règles ? C’est un peu comme si tous les efforts avaient été concentrés sur la taille et la couleur des serviettes hygiéniques et non sur leur utilité ou praticabilité. Si les hommes avaient des règles, il serait déjà commercialisé depuis des décennies tout un éventail de produits destinés à les soulager de ce fardeau, à les… « guérir ».
Mais n’y a t-il pas une relation problématique historique entre la médecine et le corps des femmes ?
De la fin du 19ème au début du 20ème, on considère que l’état normal de la femme est un état de faiblesse, de maladie, une pathologie inhérente. La menstruation est classée comme une des maladies de la femme. Le rapport intime des femmes au sang fait peur aux hommes. On lie la menstruation à un handicap (comme la publicité ne manque jamais de nous le rappeler encore à l’heure actuelle). La menstruation effraie l’homme et exacerbe son imagination, mais c’est autant la menstruation qui est source de menace (de fantasme) que son absence. En l’absence de règles, le corps de la femme est ingouvernable, n’est plus soumis à la nature. Mais en présence de règles, il est gouverné par la maladie, la fébrilité, l’impureté.
Pour les gynécologues, la femme ne possède qu’un set d’organes : ceux liés aux règles et à la procréation, qui sont sources de leur état de faiblesse inné et de leurs autres maux.
La gynécologie est héritière d’une pratique historique qui a laissé des traces… Au 19ème siècle, le choix de la gynécologie, plus que toute autre discipline médicale, pour l’homme médecin, est celui du don désintéressé. En même temps, les médecins se sont substitués aux sages-femmes, au nom de la médecine et de la science, les ont dépossédées de leur savoir. Les hommes ont bouté les femmes hors d’une profession (une pratique non-professionnalisée) dont elles avaient l’exclusivité. Avec l’essor de la profession de médecin, un genre de chasse aux sorcières est mis en place contre les « midwives », dans certains pays, on leur interdit d’exercer quand on ne les persécute pas tout simplement.
Jusqu’au milieu du 20ème siècle, le savoir supérieur prend sa source dans la pratique de la médecine détenue par les hommes, elle est considérée comme un savoir exclusif (alors que les sages-femmes ou les premières femmes docteures fonctionnaient plus sur un modèle de partage et d’échange de l’information et de l’entraide). Pour les premiers médecins de la période industrielle, le savoir est une propriété, vendue sur le marché en tant que marchandise. Il n’est pas question qu’on leur fasse concurrence non plus.
Au gré de l’évidence scientifique, la femme est considérée comme un matériau, non comme un être, et comme sa nature ne peut être forte, elle ne peut donc pas soigner et est juste bonne à être une « patiente ». La femme n’a pas à s’occuper du corps, elle devient juste un matériau sur lequel exercer un savoir. Gynécologie et morale genrée
On peut donc avoir envie de supprimer ses règles pour bien des raisons : souci d’écologie, souci économique, bien-être, raison médicale, expérimentation (se défaire des « règles »), sport ou nécessité pratique, questions liées au genre, etc… Mais l’offre proposée par une gynécologie bien souvent moralisatrice et patriarcale reste frileuse et normative. On a beau se plaindre de mal-être, de douleurs pendant de nombreuses années, il faut attendre longtemps avant que l’option soit proposée. Elle est toujours envisagée comme le dernier recours. Comme quelque chose de négatif. Les traitements proposés, ces jours-ci, sont tous à base d’hormones féminines, même si la chirurgie se pratique encore. Les effets secondaires des hormones féminines sont présentés comme acceptables : gonflement des seins, spotting (saignements intempestifs), maux de tête. Mais pour stopper ses règles, on peut aussi prendre des hormones… masculines ! Seulement la prise d’hormones mâles reste un sacré tabou. Leurs effets secondaires semblent inenvisageables par la profession : changement au niveau de la voix, pilosité etc… Le choix des effets secondaires mâles est impossible, suspect, psychologiquement inavouable.
Ce qui me chipote dans le discours gynécologique tient à nouveau à une absurdité : si notre gêne provient d’un effet lié aux hormones féminines, pourquoi se voit-on prescrire une double ration de ceux-ci ? Pourquoi être obligée d’augmenter la prise d’hormones femelles ? Soit dit en passant, le terme hormones « féminines » me fait bien rire, je les imagine très bien féminisées, ultra genrées talons aiguilles et rouge à lèvres. Outre le renvoi continuel à un corps over-genré de femme, le discours gynécologique escamote la réalité d’un désir d’émancipation. Le désir de suppression des règles peut aussi bien partir d’une simple envie de bien-être liée à une perception de son propre corps (« hors genre »), d’une envie plus profonde (ou politique) de se diriger vers un autre genre ou au contraire, de s’éloigner d’une assignation genrée. Il peut aussi traduire une volonté de dépasser certaines limitations, de créer un nouvel espace identitaire plus en lien avec sa perception de soi. Mon genre à moi, comme disait l’autre, c’est moi : une construction que je veux inventer.