Lorsque le thème de l’opposition entre nature et technologie s’est imposée à nous pour ce nouveau numéro, il semblait riche de possibilités. On pourrait parler de cyborgs, du rapport entre les femmes et les ordinateurs ou autres machines techniques, de l’insémination artificielle, des techniques de contraception, de la place des femmes dans les professions dites technologiques, ainsi que dans l’histoire de la technique, et pourquoi pas des godes, de la chirurgie esthétique ou réparatrice, des OGM, des machines dans les salles de fitness, des tracteurs, et que sais-je encore.
Assez curieusement, mais nous ne l’avons pas décelé tout de suite, la plupart des sujets proposés par les rédactrices arrimaient la dialectique nature-technologie au corps-femme, la nature étant ce corps que la technologie permettrait de dépasser, d’améliorer, d’apprivoiser.
D’un côté, nous allions écrire sur la technologie facilitant ou empêchant de faire des bébés, de celle régulant les règles ou les supprimant. De l’autre, les dildos, les cyborgs, la technologie des salles de fitness ou la chirurgie esthétique nous permettraient d’évoquer ces techniques de substitution ou de complément. Dans les deux cas, nous ne sommes pas tout de suite aperçues de ce lien toujours présent avec le corps. Soit que la technologie prenait directement le corps pour objet, pour le réguler (la pilule) ou l’assister (l’insémination) ; soit que la technologie servait de prothèse pour compléter le corps (le gode), l’améliorer (les machines des salles de sport ou, dans une version de science-fiction, le cyborg), ou le conformer à une certaine attente (les implants).
Comme si, en tant que femmes, nous inscrivions immédiatement l’outil technologique dans notre corps même. Comme s’il ne nous était pas naturel (« naturel », le mot est lancé) de nous projeter dans une technologie extérieure à nous. Comme si nous envisagions notre corps dans sa nature même, qui devrait nécessairement s’appuyer sur une technologie pour être perfectionné et décuplé, un corps peut-être incomplet ou imparfait par nature ? Cette propension à lier toute technologie à notre corps est sans doute à creuser…
Au fur et à mesure de la préparation de ce dossier, les sujets traités se sont encore réduits. Les articles parlaient de la pilule comme technique de contrôle de la fertilité ou des menstruations, de la reproduction des lesbiennes et du « discours technique » qui l’entoure, ou encore de la prétendue nature ou essence des femmes qui expliquerait notamment que les femmes sont plus proches de la nature (et donc plus éloignées de la technologie ?).
Une réflexion commune à ces différentes contributions consiste à dénoncer le discours normatif sur ce qu’est la nature des femmes ou du corps féminin, et comment toute dérogation à cette soi-disant nature essentielle doit être contrôlée, régulée, redirigée vers la norme (socialement) souhaitable. Les outils de ce contrôle, de cette « rééducation », reposent sur des technologies ou des savoirs prétendument techniques, qui sont souvent l’apanage des hommes, puisque la femme, en raison de son lien à la nature, souvenez-vous, est plus étrangère à la technologie…
Dans les exemples visés ici (mais on pourrait envisager d’autres applications), cette régulation normative par la technique prend le corps de la femme, et plus précisément son utérus, pour objet – ce qui est malheureusement une constante historique. Oubliées finalement nos ambitions démesurées du début. Du thème Nature et Technologie, ce dossier n’offre donc qu’un premier aperçu, ce qui nous a incitées à adopter ce joli sous-titre : The Uterus Issue ! Cela ne pourra que nous donner envie de poursuivre le débat sur la technologie dans de prochains numéros, et vous donner envie peut-être d’y collaborer ?