> Les numéros > Scumgrrrls N° 11 - Printemps / Spring 2007

Le prix de la facture

by A-L. B

Le patrimoine des femmes

Patrimoine, patriarcat, pater familias.. tout ça va très bien ensemble.. ce que confirme le classement des premières fortunes du monde [1] : ça commence par Bill Gates, (46.5 milliards de dollars), qui est un homme, et il faut attendre la 14ème place pour trouver la première femme sur la liste qui vaut, petite joueuse qu’elle est, seulement 18 milliards [2].

De l’autre coté du miroir, chez les pauvres, on notera avec intérêt que seulement 41 % des familles monoparentales (parmi lesquelles il y a 80 % de femmes), ont un patrimoine immobilier, contre 60 % de l’ensemble de la population [3].

Pour les autres, on pourrait raisonnablement considérer que la plupart des couples étant hétérosexuels, les patrimoines sont possédés, ou en tout cas utilisés, de manière commune par les partenaires, et que les héritages sont relativement égalitaires entre filles et garçons, puisque la loi impose qu’une partie importante de l’héritage soit partagée équitablement entre les enfants…. (Bien sûr, dans les familles particulièrement patriarcales, comme les Boël, on trouve des exceptions : ils ne transmettent leurs châteaux qu’aux garçons).

Mais il est difficile d’aller plus loin dans l’analyse du patrimoine par sexe, parce que le patrimoine est un secret bien gardé, et aussi parce que les économistes, bizarrement, n’ont pas l’air passionnés par cette question. Trouver des chiffres sur le montant des héritages par sexe et en fonction du sexe, ce qui semblerait une question de bon sens, n’est pas possible dans les données des principaux instituts de statistiques. Mais peut-être qu’une chercheuse ou étudiante, lectrice de scum, ayant accès à des sources brutes et genrées pourrait faire quelque chose ? En tout cas, à voir les publicités de banques pour les prêts « féminins », il semblerait qu’elles, au moins, constatent des vrais différences de sexe dans les choix de gestion du patrimoine…

Différences de revenus

Comme on se fiche plus ou moins des milliardaires et que les héritages ne sont pas une donnée facile, on peut regarder de l’autre côté de la lorgnette, et quitter ce qu’on possède pour aller vers ce qu’on gagne.

Parmi les types de ménages, reprenons les familles monoparentales [4] : en France, dans cette catégorie, on compte 3 597 000 femmes, et 547 000 hommes. C’est la catégorie de la population qui a la plus forte proportion de pauvres (ayant un revenu inférieur de 60 % au revenu médian) et, surprise, c’est la catégorie où il y a le plus de femmes (83%). Alors on se réjouira peutêtre de savoir que les hommes seuls avec enfants sont également très pauvres (mais un peu moins quand même), mais admettons qu’il faudrait être idiote pour se réjouir de ce type d’égalité... Evidemment, pour les familles monoparentales où les mères sont inactives, on atteint des sommets dans le vide du compte en banque : 47% de cette catégorie est pauvre. (Intéressant de noter, ici, que le chiffre de la pauvreté pour les familles monoparentales avec des pères inactifs n’est pas disponible).

En ce qui concerne les salaires, la différence entre hommes et femmes persiste : en Belgique, pour les temps pleins, elle est de 20%, en baisse légère puisqu’on était à 24 % en 1994. Ca a l’air de rien, 20%, mais ça veut dire que là où un homme touche 2500 € brut, une femme touchera a priori 2000 €, ce qui fait quand même une lègère différence à la fin du mois. Une des catégories pour laquelle la différence est la plus forte est celle des plus âgées : les femmes de plus de 60 ans touchent 53 % de salaire en moins que les hommes de plus de 60 ans… Ceci dit, ces inégalités sont également fortement dépendantes du secteur économique, d’où l’importance des choix d’études, on ne le dira jamais assez… Si votre fille (ou votre fils ! ) est en train de chercher ce qu’elle fera quand elle sera grande, conseillez-lui sérieusement la chimie, et éloignez la de l’hotellerie restauration : quitte à mélanger des mixtures dans des casseroles ou des éprouvettes, autant le faire pour beaucoup d’argent. Le salaire brut moyen annuel est de 20 000 € (à la louche, c’est le cas de le dire) dans l’horeca, contre 40 000 dans la chimie pour les femmes, et 53 000 pour les hommes… de quoi réfléchir sérieusement à l’orientation, non ?

Différence de temps de travail

Est-ce que cette différence de revenu serait due de quelque manière que ce soit au fait que les femmes sont moins travailleuses, moins actives, moins occupées que les hommes ?

Pas vraiment, on s’en doute : ce que montre l’emploi du temps des belges [5], c’est que les femmes travaillent plus, toutes, qu’elles soient à temps partiel ou à temps plein, qu’elles aient ou non des enfants, qu’elles vivent seules ou en couple. Quand il s’agit des tâches domestiques, un seul mot d’ordre : en faire plus (que les hommes).

Soyons honnête : la « vraie » double journée ne concerne qu’une petite partie des femmes. La plupart des femmes « concilient », ce qui veut dire : je travaille autant d’heures, voire plus, par semaine, mais une partie de ces heures est consacrée non plus à travailler pour un/une patronne, mais à travailler pour la « famille ».

Prenons le cas des femmes qui travaillent à temps plein, et qui sont dans un couple de bi-actifs, avec deux enfants. Ces femmes consacrent en moyenne, chaque jour, 4 heures et quart aux tâches domestiques, les hommes seulement une heure et demie. Cette différence dans le temps domestique permet aux hommes de passer plus de temps devant la télé, certes, mais ils le consacrent en fait surtout à travailler plus.

Il y a donc temps plein et temps plein : un temps plein pour les femmes qui fait 35 heures semaine de travail rémunéré (plus 30 heures semaine de travail domestique), et un temps plein pour les hommes de 47 heures de travail rémunéré (et 10 heures de travail domestique…) Tiens, curieusement, si on regarde le temps de travail rémunéré, on retombe presque sur la même différence que pour les salaires, les hommes travaillent un peu plus de 20 % de plus que les femmes pour leur activité rémunérée… ce qui explique peutêtre que ces messieurs gagnent plus ?

Quand aux retraites des femmes, elles sont largement inférieures aux retraites des hommes : carrières plus courtes (de 10 ans en moyenne), temps partiel, salaire inférieur… tout se conjugue, vers le bas, pour donner au final un revenu largement inférieur aux femmes : 1455 € par mois pour les hommes, 822 € par mois pour les femmes [6].

Là où le patriarcat fait mal

En résumé, les femmes choisissent des métiers qui leur semblent utiles (mais qui sont mal payés) ; à un moment donné de leur vie, elles choisissent de travailler moins et de passer du temps avec leurs enfants (pas payé du tout, mais elles vivent alors sur le salaire d’un autre, ou bien des prestations sociales) ; certes, elles auront sans doute une plus petite retraite, mais elles vivront plus longtemps avec…. Le maître mot de ces parcours de vie, c’est toujours le choix : je choisis d’être institutrice, je choisis de passer à temps partiel pour pouvoir « concilier  », je choisis de m’arrêter à la naissance du deuxième… Alors où est vraiment le problème ?

Le problème est là où l’inégalité du partage des tâches et les inégalités sociales des salaires ne sont plus compensées par une mise en commun hétérosexuée des revenus. Par exemple pour les vieilles dames de ménages pauvres, qui restent veuves, sur leur seule pension, sans patrimoine. Pour les femmes qui élèvent seules leurs enfants. Et même pour les femmes seules sans enfants, puisqu’elles gagnent un salaire inférieur de 20 % à leurs homologues masculins, toujours suspectes qu’elles sont de ne pas avoir d’ambition, de ne pas vouloir faire carrière, de penser à faire bientôt un enfant.

En bref, nous avons tout à fait le droit de divorcer ou de rester célibataires, mais si on le fait, alors on a tout à fait le droit d’être pauvre, de passer notre vie à courir tant que les enfants sont petits, et, une fois que nous seront vieilles, de profiter de notre durée de vie pour manger de la pâtée pour chat dans un minuscule studio.

Certains éléments de la structure patriarcale survivent : la prise en charge des personnes dépendantes est toujours une affaire qui relève du privé ; les normes continuent d’imposer aux femmes cette prise en charge ; et le genre est toujours ce qui quelque part va définir, pour chacun de nous, l’importance de ces tâches de reproduction sociale.

Et tant que cohabiteront à la fois un schéma de carrière professionnelle normatif (temps plein sans interruption) et la désignation des femmes pour les responsabilités familiales, alors que ces deux aspects de la vie sont impossibles à cumuler par un même individu, comment penser que le patriarcat a disparu ? Il s’est simplement tranformé, renouvelé, et la société se révèle toujours incapable de définir des modes de prise en charge collective des personnes dépendantes, qui ne soient pas, essentiellement, à la charge des femmes.

[1] Forbes.com

[2] A noter que ce soir, c’est une des héritières de l’empire Wal Mart qui gagne ce titre de première femme première fortune du monde. Il se trouve qu’un procès s’annonce, lancé par deux millions de caissières qui attaquent Walmart pour discrimination sexiste… Comme quoi toutes les femmes n’ont pas toujours des intérêts communs  !

[3] Insee - Taux de détention des différents actifs de patrimoine par les ménages selon le type de ménage

[4] Insee - Niveau de vie moyen des individus par type de ménage

[5] 24 heures à la belge - Une analyse sur l’emploi du temps des Belges, Statbel, 2002

[6] Insee, Regard sur la parité, Montant moyen mensuel de la retraite globale selon l’âge

EN

The consequences of patriarchy are also economic : women have less patrimony, earn less money and work at least as much if not more than men. Sharing money within couples tends to compensate these inequalities. However, as soon as women are on their own, they are poorer. On the one hand, we have gained freedom, like the right to divorce, but everything concerning reproduction is still our responsibility... Some sort of patriarchal vengeance no doubt !

NL

De gevolgen van het patriarchaat zijn ook economisch : vrouwen hebben minder patrimonium, verdienen minder, en werken nochtans evenveel, zelfs meer. Het delen van de inkomsten binnen koppels kan die ongelijkheid, enigszins opheffen. Maar een vrouw alleen is een arme vrouw. We hebben vrijheden gewonnen, zoals de vrijheid om te scheiden, maar de kosten van de voortplanting blijven voor onze rekening… Een wraak van het patriarchaat misschien ?