Récemment j’ai plongé littérairement dans les vies de deux Viennoises : l’une appelée ‘Sidonie Csillag’ née en 1900 fait l’objet d’une biographie écrite par Ines Rieder et Diana Voigt [1] et la plus ancienne née en 18 87 est ma grand-mère Irene Berl qui a écrit ses mémoires. (non publiées)
L’une a connu Freud, l’autre ne le mentionne même pas alors qu’elle vivait à 2 pas de la Berggasse où Freud vécut jusqu’à son exil en 38 à Londres.
Toutes deux nées dans la bourgeoisie juive aisée connurent des destins troublés par le national-socialisme et partirent loin des cocons de leur jeunesse : Sidonie comme gouvernante à Cuba notamment, Irene comme gardienne de moutons dans le sud de la France et après guerre à Bruxelles.
L’intérêt de la bio de Sidonie Csillag réside dans le fait qu’elle était lesbienne et que c’était vraiment streng verboten en Autriche. Alors que jeune fille, elle s’amourache d’une courtisane bisexuelle, ses parents croient bien faire en la mettant entre les mains d’un docteur à la mode, un certain Sigmund Freud. Pendant 4 mois 5 fois par semaine elle ira chez lui en consultation pour faire plaisir à son père et à ce docteur. En fin de compte Freud aura l’intelligence de mettre fin à cette analyse qu’elle ne veut pas vraiment parce qu’elle n’a aucune envie de devenir hétéro.
Toute sa vie elle demeurera une grande amoureuse lesbienne. Inès Rieder lui parlera pendant 2 ans avant d’écrire sa biographie qui nous décrit aussi la vie de ces familles viennoises juives et donc l’antisémitisme auquel elles furent confrontées. Point d’orgue de cette vie cachée : Inès emmena la presque centenaire au centre gay et lesbien de Vienne qui porte le doux nom de Villa Rosa Lilla !!
J’ai demandé à Inès pourquoi elle ne pouvait l’appeler par son vrai nom, même après sa mort : trop marquée par la loi 209 qui criminalisait les lesbiennes autant que les homos, Sidonie avait encore préféré protéger son nom ainsi que celui de certaines amies. Cette loi ne sera abolie qu’en 1971 ! C’est la raison pour laquelle Vienne ne connut jamais la vie trépidante de la culture gaie et lesbienne comme Berlin ou Paris dans les années 20. A l’Anschluss en 38 on peut se poser la question si certaines homosexuelles ne virent pas cet événement comme un soulagement : il n’y avait pas de telle loi dans l’Allemagne des années 30 !
Ma grand-mère ne fut pas lesbienne (nobody’s perfect) mais une féministe dans ce milieu conservateur de la Vienne impériale où des juifs se sentaient autrichiens avant tout. Petit fille elle adorait Sissi et en 1897 l’assassinat de l’impératrice eut le même impact sur elle que pour moi celui de John Kennedy et pour les plus jeunes Diana.
Extraits de ses mémoires : « Dans la mentalité de la bourgeoisie juive(2ème moitié du 19ème siècle) d’alors les parents se souciaient avant tout de l’éducation des garçons ; après quelques années d’école élémentaire,les filles devaient se consacrer au ménage, préserver leur chasteté avant d’arriver au but final : un mariage précoce, peu importait leur avis. (…)Ces parents qui avaient travaillé dur toute leur vie pour procurer du bien-être et une bonne éducation à leurs garçons, pour en faire de bonnes personnes, qui lisaient ‘Faust’, adoraient Mozart, Schubert, perpétraient en toute quiétude et conscience ce crime contre leurs filles. »
Irene Berl (fin du 19ème, début 20ème)relève en détail les inégalités dans l’éducation, dans le choix des écoles, dans les programmes scolaires ; elle dénonce les mensonges qui tenaient lieu d’éducation sexuelle et les contraignantes convenances bourgeoises ainsi que les réactions d’antisémitisme aussi bien de la part de ses compagnes de classe que des enseignant/es. Son témoignage éclairé brosse un portrait intéressant de cette époque dans ce milieu.
[1] Ines Rieder, Diana Voigt : Sidonie Csillag â€Homosexuelle chez Freud. Lesbienne dans le siècle.- Traduit de l’allemand par Thomas Gindele. EPEL, 2003