> Les numéros > Scumgrrrls N° 11 - Printemps / Spring 2007

Patriarcat et droit : Dura lex, sed (pater) lex !

Le Code Civil est une institution clé du patriarcat, en tout cas lors de son adoption il y a deux siècles. Si la plupart des dispositions établissant le mariage et l’autorité du mari comme les piliers de notre droit ont désormais disparu, le langage du Code Civil garde des traces d’une réflexion toute centrée sur l’homme. Du bon père de famille aux parts viriles, petite revue d’un langage juridique qui fait encore recette ...

Cela ne sera une surprise pour personne de savoir qu’au Panthéon des institutions patriarcales, se trouvent le droit et le Code Civil, dit Code Napoléon du nom du misogyne empereur qui a présidé à son élaboration. Le Code Napoléon régit encore la majorité du droit privé dans les pays issus du droit français, ce qui en fait le système juridique le plus répandu au monde. Le patriarcat juridique est donc bien implanté sur notre bonne vieille terre.

Lors de son adoption en 1804, le Code Civil est l’expression la plus aboutie du patriarcat, mâtinée de libéralisme sans limites. Le chef de famille y est le mari. Il a toute puissance sur sa femme et ses enfants. Dès le mariage, la femme devient « incapable », elle n’a aucun pouvoir d’administration de ses biens ou de conclusion de contrat. Elle ne peut rien faire sans l’autorisation du mari. La transmission des biens ne se fait qu’au sein de la famille de sang excluant les enfants illégitimes, et même la femme, étrangère à la lignée du mari. Quant aux régimes matrimoniaux, les règles de leur gestion dans le code civil n’étaient qu’un moyen de déposséder la femme de tous ses biens.

Bien évidemment, ce Code Civil a bien changé. La puissance paternelle est devenue l’autorité parentale et est partagée conjointement par les deux parents ; les enfants sont désormais traités de manière égale qu’ils soient nés au sein d’un mariage ou non. Le mariage a même perdu de son assise en s’ouvrant, dans certains pays, aux couples homosexuels ou en laissant se développer à ses côtés une union civile. Sous l’impulsion des féministes, la femme a peu à peu gagné son autonomie au sein de la famille, quant à ses biens, à la possibilité d’ouvrir un compte en banque, ou d’exercer une profession sans l’autorisation du mari.

Mais si le moine a changé, ses habits sont restés les mêmes. De nombreuses expressions du Code Civil sont en effet proprement masculines, censées pourtant s’appliquer à tous, hommes ou femmes. Et ces expressions, en dépit de l’évolution du droit, sont restées immuables.

Déjà entendu parler du « bon père de famille » je suppose ? Le bon père de famille est une notion juridique clé. Elle détermine dans de nombreux domaines quel est le comportement normalement requis pour échapper à toute responsabilité ou pour exécuter correctement un contrat. Agir comme un bon père de famille, c’est adopter le comportement « d’un homme normalement prudent et diligent ». Quelle confiance dans les pères, non ? Cela devient même drôle quand le texte parle de l’obligation de « jouir en bon père de famille » !

On retrouve aussi le père de famille dans les articles 692 et 693 du code civil qui concernent la servitude par destination du père de famille, soit la constitution d’une servitude entre deux propriétés autrefois possédées par un même propriétaire et aujourd’hui divisés. Le père de famille n’est donc seulement le bon sens et la prudence au sein de la famille, il devient le stéréotype du propriétaire immobilier !

Autre expression parmi mes préférées : la part virile. La notion, appartenant au droit des successions, signifie que les biens hérités par plusieurs personnes en commun peuvent être partagés en parts égales. Ironique n’est-ce pas qu’une part virile réfère à l’égalité ? Egalité qui, à l’époque ne visait que l’égalité entre hommes, pas l’égalité homme-femme.

Et que dire du patrimoine, universalité des biens et des dettes que possède une personne ? Patrimoine vient de pater qui signifie père. Là aussi, la propriété équivaut à l’homme et semble indiquer qu’elle ne se transmet que dans la lignée du père.

Vous en demandez encore ?

Il y a le besogneux en matière de délégation de sommes, soit l’homme de la famille qui travaille et à qui on prend le salaire ; le chef de famille qui pendant longtemps ne désignait que le père ; l’homme de loi ; le dominus litis qui désigne l’avocat en charge du dossier ; le Conseil des prud’hommes, juridiction française chargée de trancher les contestations du droit du travail ; l’homme du métier en droit des brevets ou le droit de paternité en droit d’auteur ; etc, etc.

Le problème n’est pas vraiment que le code civil ait utilisé ces termes, qui ne faisaient en quelque sorte que refléter les usages d’un temps et d’une construction sociale proprement patriarcale. C’est que ces termes aient subsisté malgré le changement des lois et des mœurs et qu’ils soient enseignés à des générations d’étudiants sans qu’aucun-E professeur-E ne les remette en cause ou ne souligne leur caractère sexiste. Insidieusement, le droit, du moins dans son langage, continue à considérer que les hommes constituent la norme, par rapport à laquelle juger la responsabilité, l’expertise, la propriété, la sagesse. Alors que le monde regorge d’excellentes mères de famille, prudentes et diligentes, de besogneuses, d’expertes femmes du métier, de femmes propriétaires. Ah si seulement on leur avait confié la rédaction du Code civil ! … Le féminisme aurait gagné 150 ans au moins !

EN

The Civil Code has played a key role in the patriarchal society ever since it was adopted two centuries ago. Most provisions aout marriage and the husband’s authority as pillars of our legal system have now disappeared. However the Civil Code lingo has kept the marks of those man-centered thoughts. This article is about these unbearable leftovers.

NL

De Code Napoléon heeft een sleutelrol gespeeld in de patriarchale maatschappij, sinds hij twee eeuwen geleden van kracht werd. De meeste voorzieningen in verband met het huwelijk en de autoriteit van de echtgenoot als pijlers van ons rechtsysteem zijn vandaag verdwenen. Maar de terminologie blijft het stempel dragen van een ideologie die de man in het centrum stelt. Dit artikel gaat over deze taaie overblijfselen.