Ma rencontre avec les oeuvres de cette artiste eut lieu lors des Gay Games à Amsterdam en 98 : son installation occupait 2 murs ‘décorés’ de feuilles volantes recouvertes de dessins rapides à l’encre, à la gouache représentant un mélange de personnages sortis de bédés américaines (par exemple Wonderwoman), de caricatures et surtout de lesbiennes pro-actives dans des orgies rabelaisiennes ! Il faut voir le Lesbian Kissing Booth !! L’humour se joint à la violence et à une imagination plus que débordante !
Nicole Eisenman, née en 1965, fait partie de la génération d’artistes nourries de féminisme, d’américanisme et d’histoire de l’art ; elle utilise des formes connues qu’elle subvertit à des fins critiques, très acerbes ! par exemple : la banale famille dysfonctionnelle’. Un vrai coup de poing pictural !
Parfois elle dépeint de petites anecdotes de sa vie avec férocité : ’New Braces’ ou comment garder le sourire obligatoire tout en portant un appareil dentaire pour répondre aux normes de la beauté américaine !
Tantôt elle brosse de grands tableaux ou des fresques murales où des mondes peuplés de femmes s’affichent dans une grouillance formidable à la Breughel, scènes primitives qui évoquent également Jérome Bosch : salutaire et effrayant à la fois. Effet cathartique garanti ! Je pense en particulier au diptyque exposé au musée Ludwig de Cologne en 2006 dans le cadre de l’expo ‘Arriver à dame. Sexes, vies et désirs dans l’art depuis 1960. Il s’agit de ‘Progress :Real and imagined, 2006, huile.’ Sur le panneau de gauche, l’artiste au look androgyne crée dans l’effort, repliée sur ellemême dans un atelier clos (la tour d’ivoire) ; ses peintures de styles différents volent au travers de la pièce. Mais en réalité la chambre-havre repose sur une barge qui semble en proie aux vicissitudes extérieures (la mer est démontée, un/e rescapé/e coule,un canot humanitaire s’approche). Sur le panneau de droite : une terre peuplée de femmes qui s’auto-inséminent avec un pénis dépecé d’un géant style Gulliver dont il ne reste que quelques morceaux, elles pêchent, chassent, enfantent : utopie ou barbarie ? Au loin un ciel menace dans lequel flottent de sombres hamburgers… C’est fort, très fort !