Entraînez-vous un peu devant la glace à dire, avec naturel : « maman, ta fille est lesbienne », et ensuite faites les variantes : « papa, ta fille est aussi lesbienne  ». Je me suis entrainée comme ça pendant trois mois, et puis au bout d’un moment, j’ai pris le taureau par les cornes et j’ai informé mes parents. Comme le courage n’est pas ma première caractéristique, j’ai pensé m’en tirer avec la délicatesse : je leur ai fait savoir, sans le dire vraiment, tout en le disant quand même, sans jamais prononcer les mots fatidiques…
Cela fait, je croyais être quitte et, à la question pressante de mon amoureuse : « Alooooors, tu leur as dit ? », je croyais pouvoir répondre fièrement : « oui, ils sont au courant ». Sauf que ma mère m’a demandé, bien des mois plus tard : « et cette amie, à Paris, tu vas la voir pour faire quoi, des expos, des musées ? » Autant pour la délicatesse, et retour au « maman, ta fille est lesbienne ». Après, pendant des mois, la question de ma chère et tendre, ça a été évidemment : « mais est-ce que tu es suuure qu’elle a compris vraiment ? ». Quoi qu’il en soit, même s’il a fallu six mois, ça c’est fait sans psychodrame, et je croyais que je pouvais oublier la question du coming out. Et bien, pas du tout.
A ma grande surprise de nouvelle lesbienne, le problème du coming out, ce n’est pas LE coming out à ses parents et ses implications familiales, mais la suite, l’interminable suite, de comings outs. Vous l’avez fait avec vos parents ? C’est bien. Maintenant vous pouvez le faire avec vos frères et soeurs, vos cousines, vos oncles, vos tantes, vos collègues de travail, votre meilleure amie, le copain de votre meilleure amie, vos pas-meilleurs amis…
Un journaliste des inrocks a écrit que « le coming out convoque ce dont rêve tout scénariste de série : un personnage face à une décision personnelle qui va changer sa vie, en même temps qu’elle en éclaire les racines et les zones cachées ». Mais honnêtement, à la quinzième fois en trois mois que vous changez votre vie et que vous éclairez vos racines et vos zones cachées, vous trouvez ça toujours haletant de suspense, vous ? Moi pas. Je trouve ça toujours désagréable, angoissant et risqué, et surtout, je trouve ça monotone.
Une ancienne nouvelle lesbienne ayant fermement répondu « Jamais » à la question du « ça s’arrête quand ? », me voilà condamnée à revivre, indéfiniment, cette scène, et à rejouer, avec tout un chacun, l’éclairage de mes racines et de mes zones cachées… Rien que d’y penser, je m’ennuie déjà. Quant à savoir si la stratégie de le dire, à tout le monde et le plus tôt possible, est la meilleure manière de s’éviter l’homophobie ordinaire et l’inconfort des révélations tardives, l’aréopage des anciennes nouvelles lesbienne n’était pas unanime sur sa viabilité… je reste donc avec mes petits doutes (à elle, est-ce que je peux lui dire) et mes petits mensonges (j’étais en vacances avec une amie)…
Ceci dit, comme on passe une bonne partie de son temps entre nouvelles
lesbiennes et moins nouvelles lesbiennes à se parler de ses coming out, et à se raconter les pires et les moins pires, je me doute bien que le coming
out est un sujet croustillant, et que si, sur le moment, je n’en mène pas
large, ça me fera, au moins, des histoires pour les longues soirées d’hiver.
Allez, je vous en raconte un autre ? Un coming out rigolo, enfin !
Cet été, du haut de ses cinq ans, mon neveu m’a posé la question qui tue
la nouvelle lesbienne au réveil : « Et toi, est-ce que tu as un mari ? »
Alooors, comment dire, non, pas tout à fait… j’ai … une femme, enfin,…
j’ai une copine…
Ah, m’a dit le petit garçon, très content de montrer que rien ne le surprend
et qu’il connait la vie, « c’est pour ça que t’as pas d’enfant ? »
M’est’ avis que les copines qui expérimentent l’homoparentalité doivent
avoir du coming out sur la planche…
La prochaine fois, la nouvelle lesbienne hésitera entre deux sujets : la lesbophobie dans les groupes de femmes, qui commence à me gonfler, ou bien un truc trop rarement évoqué dans la presse grand public et qu’on pourrait intituler pour faire joli : « entre transmission familliale et ouverture aux pratiques de l’autre : les conflits de légitimité autour des questions domestiques dans les couples lesbiens »*…
* Me dites pas qu’on est les seules à avoir des conversations débiles du style : mais c’est pas comme ça qu’il faut passer la serpillière/ me regarde pas quand je fais le ménage, j’ai l’impression que tu me juges / mais pourquoi tu commences par laver les assiettes / et, last but not least : ah bon, toi tu épluches les courgettes ? (sur l’air de « ma mère, elle, elle les épluche pas). Je suis stupéfiée : je me réjouissais d’en avoir enfin fini avec les cours hétérosexuels d’épluche-légumes, et je me retrouve avec une guerre de serpillère lesbienne !