Est-ce que l’on peut s’adapter aux règles du jeu de l’industrie de la musique, des systèmes de marketing et de production dominants †tout en étant/restant porteuses des projets féministes ? Est-ce qu’il existe d’autres façons de faire ? Quels sont les choix et stratégies de production pour mettre en place et maintenir un projet musical féministe, politisé, subversif ?
Scumgrrrls est allé à la recherche de commentaires, réponses et éclaircissements à ces questions. Cela nous a amené chez Laurence Rassel de l’asbl Constant qui, en collaboration avec des structures et personnes sur place, est en train d’organiser un évènement à Barcelone* autour de ces questions (entre autres). Nous n’avons pas trouvé des réponses toutes faites, nettes et claires. Mais nous sommes reparties avec une plus grande compréhension des complexités qui définissent ‘la scène’ pour les femmes et féministes qui font de la musique !
Scum : Est-ce que l’on peut s’adapter aux règles du jeu de l’industrie de la musique, des systèmes de marketing et de production dominants - et en même temps rester porteuses des projets féministes ?
Laurence : Au départ mon point de vue était que ça serait plutôt très difficile de continuer d’être porteuse d’un projet féministe si on acceptait de se soumettre à toutes les règles du système commercial de production. Mais au fil du projet, et à force de m’interroger et de parler avec des musiciennes diverses, les réponses qu’on peut trouver à ces questions me semblent plus complexes. Le groupe Le Tigre par exemple s’est mis dans un système de production complétement commercial, avec un manager, où elles laissent les droits à la maison de disques plutôt que de les garder, etc… Mais ça n’empêche pas que le mot féminisme et des slogans féministes apparaissent. Peut-être que c’est un bon deal ? Mais je trouve un peu triste la logique de leurs concerts : elles arrivent, jouent sur scène, et puis repartent, sans voir des groupes et les musiciennes féministes sur place ou chercher d’autres synergies par exemple. Est-ce que c’est une pratique féministe ?
Scum : A quoi ressemblent les stratégies féministes de production, création, représentation ? Et même s’il n’y a pas de réponses claires à donner, existe-t-il encore d’autres façons de faire ?
Laurence : Mais oui, à côté tu as des groupes qui sont arrivés à faire autrement, qui ont réussi à mettre en place un système de production qui leur permet d’agir avec beaucoup d’autonomie. Chicks on Speed par exemple ont leur propre label, elles produisent et elles distribuent elles-mêmes, et elles arrivent aussi à produire d’autres femmes ! Gudrun Gut, elle aussi a sa propre maison de production. Et Terre Thaemlitz reste aussi autonome dans sa production. J’ai l’impression que ça reste quand même assez difficile, surtout la distribution. Il faut être nettement meilleure pour être reconnue, et faire mille fois plus de bruit pour gagner un peu de visibilité.
Scum : Effectivement, ça a l’air assez galère…Mais qu’est ce qu’elles acquièrent en mettant en place leurs propres systèmes de production ?
Laurence : Elles gardent toujours en main les moyens de production, elles contrôlent tout et elles gardent les droits de tout. Ceci leur permet de choisir ce qu’elles veulent produire et avec qui, si elles veulent partager leurs musiques, etc. Et elles peuvent produire et donner de la visibilité aux d’autres artistes ! Il y a aussi d’autres pratiques qui peuvent être plus intéressantes au niveau féministe. Par exemple, Chicks on Speed vont organiser une expo où elles donnent une visibilité aux autres femmes, comme partie intégrale de leur participation à l’atelier de, qui aura lieu en avril aussi à Barcelone.
Scum : A ton avis, où est-ce qu’on peut aller à partir de tout ça ? Ca pourrait être quoi nos projets et interrogations pour nous amener plus loin quand il s’agit de choisir nos stratégies et pratiques féministes au niveau de la production et de la distribution musicale ?
Laurence : Je ne pense pas qu’entrer dans un système de production commercial amènera de la censure pour les musiciennes féministes. Les problèmes potentiels d’une nonautonomie sont ailleurs. Je veux dire que je veux aller audelà de la représentation et du contenu. Ce qui m’intéresse c’est d’aller derrière et de vraiment m’interroger sur comment ça se passe, quelles sont les difficultés, les stratégies et les solutions, quand et si on met en place ses propres systèmes et pratiques de production. Ce qu’il faut faire maintenant c’est poser les questions, et essayer de créer un espace où l’on peut permettre la transmission des savoir-faire, partager les stratégies différentes des femmes et/ou féministes pour que le plus de femmes possible puissent faire de la musique d’un façon autonome, sans forcement rester mal-ou-pas-du-tout payées et marginalisées, invisibles.
Je veux aussi qu’on arrive à en savoir plus sur comment elles trouvent et pensent leurs conditions de travail, si elles s’identifient comme femmes musiciennes, ou si elle ne veulent pas être programmées dans une partie ‘femme’ d’un festival par exemple. Est-ce qu’elles trouvent qu’il y a encore une discrimination des femmes, et est-ce qu’elles la ressentent, la vivent ? Est-ce qu’elles ont inventé des stratégies pour lutter contre une marginalisation sentie ? Et puis dans le fond quelles sont leurs attentes ? Comment elles définissent le succès ? Bref, j’espère en quelque sorte contribuer à un espace qui permette un échange autour de tout ça !
Scum : À Constant, vous travaillez beaucoup avec les nouvelles technologies, les logiciels libres, etc. Est-ce que cette dimension est intégrée dans les questionnements autour de la création et production des musiciennes femmes et/ou féministes ?
Laurence : Il y avait un moment où l’on disait que les nouvelles technologies allaient permettre à tout le monde de mixer et de produire son propre disque, plus au moins à partir de chez eux/elles-mêmes. Et que la production de musique serait alors accessible pour tout le monde – et donc plus besoin de parler du féminisme, de discrimination dans tout ce domaine. Mais apparemment la réalité nous prouve le contraire, l’accès à la technologie, à la visibilité, à la scène, reste conditionné ! Cela fera partie de nos interrogations lors de ces 4 jours de débats, d’interviews et de rencontres à Barcelone.
* « Qué c*** té veure la mùsica am la industria i el feminisme, en un centre d’art ? ». Avec Montse Romani et Oscar Abril Ascaso en collaboration avec la radio libre de femmes Radiopaca, du 25 au 28 octobre 2005 au Centre d’Art Santa Monica..
Vous voulez en savoir plus sur Constant et/ou plus sur l’événement
à Barcelone du 25 au 28 octobre 2005 ?
www.constantvzw.com
Pour écouter les streams des interviews de Barcelone :
www.radiopaca.org