Petite interrogation sur la forme, la légitimité et le bien fondé de la prise de parole à l’occasion de Bezhti (déshonneur), une pièce de Gurpreet Kaur Bhatti. Où en sont la scène publique et les questions qui s’y posent ? Confusion et sens en suspens.
La parole publique sonne comme un choeur désaccordé où les mots s’entrechoquent, sans cohérence, sans harmonie. Et quand elle ne sifflote pas, la susdite parole, et bien, que chante-t-elle ? Allez, un petit effort, oui ? Presque… Voilààà… le terrorisme ! Ok, c’est vrai : l’autre jour j’ai entendu un truc sur le climat, mais ça, c’est passé au domaine théologie… Alors, jouons un peu et distribuons : 45% de terrorisme, 45% de StarAc (furtive nostalgie du Trek) et le reste pour la pluie, les ouragans, les tsunami et autres mystères aéronautiques. 10% donc reconnus à l’inconnu, pas mal comme témoignage d’humilité.
Maintenant que la distribution est faite, attribuons-lui un décor et, pour plus de simplicité, dessinons-le en noir et blanc. Nommons provisoirement l’espace : démocratie. Pas étonnant que le débat tourne en rond : voile contre pas voile, adoption contre (immaculée) conception, big bang contre (divine) création et tout le saint tremblement. Avec des polarités si tendues, c’est pas un hasard qu’on se replie sur la saveur de la tomate, je ne blâme personne. Après tout, la démocratie n’est-elle pas le lieu où tout peut être dit ? Ainsi donc, la scène ronronne et les valeurs fluctuent, au gré du vent. Alors qui pose des questions ? Et lesquelles ? Existe-t-il une légitimité pour interroger ? Serait-ce au nom de la tant vantée liberté que l’on peut tout dire et surtout n’importe quoi ? Des Imans londoniens aux JMJ, de U2 à Chavez, qu’est-ce qui touche ? Ce qui touche vraiment, ce n’est pas ce que l’on dit mais le lieu où on le dit. Et la légitimité de la prise de parole se renforce par son appartenance au milieu dont on parle. J’en viendrais même à penser que pour toucher, il faut ajouter le facteur trahison. Trahir pour dire publiquement ce que l’on sait des agissements d’un milieu que l’on connaît avec, pour preuve à l’appui, des détails que seul un membre de la communauté incriminée peut reconnaître. Ca, c’est ultime.
Bezhti (déshonneur), une pièce de Gurpreet Kaur Bhatti. L’auteure anglaise d’origine sikh a écrit une comédie magistrale où elle parle de déshonneur dans une société où le code est celui de l’honneur. La pièce, intelligente et drôle, amène les personnages(essentiellement féminins et pas stéréotypés pour une fois) sur le lieu de l’acte : un temple au coeur de Londres. Mais voilà, comble du malheur, il y a viol. Qu’on y parle d’une société d’origine sikh en perte de repères où un viol se produit (avec, évidemment, la complicité de ses membres) ne semble pas trop poser de problème, après tout le viol est universel… Mais là où le bât blesse, c’est, encore une fois, le lieu, le décor, l’endroit où l’action se déroule : un temple ! Outrage ! Polémique ! Provocation ! A force de menaces (dont on peut d’ailleurs se poser la question de l’évaluation du degré de dangerosité) et de manifestations de radicaux Sikhs, les représentations de Birmingham ont dû cesser, les autorités ne pouvant plus garantir la sécurité des acteurs, du théâtre, de l’auteure, ni même celle du public… En démocratie disionsnous ? Elle a dû se cacher, comme Salman Rushdie et d’autres avant elle. Ce n’est pas le viol qui était inacceptable, c’était le lieu de la scène… Elle a trahi. Oui, on croit rêver. Alors voilà : si le viol est une affaire de famille et qu’il faut trahir pour faire hurler la parole publique et bien, oui, si c’est ça, vive la trahison !
http://news.bbc.co.uk/1/hi/england/west_midlands/4112985.stm
http://www.halles.be/event.php ?id=144
http://www.hcilondon.net/Issues-in-focus/sikhs-are.html
http://perso.wanadoo.fr/union.rationaliste44/Cadres%20Dossiers%20en%20Ligne/Dossiers_en_ligne/Laicite/Anti%20Clericalisme/sikhe1.htm
http://www.marianne-en-ligne.fr/exclusif/virtual/culture/e-docs/00/00/2A/A7/document_web.md ?type=text.html