C’est sans doute l’héroïne cyberféministe la plus réelle de ce début de siècle, qui travaille sans relâche à partager la connaissance et la réflexion sur le cyberféminisme, celle qui en parle le mieux, qui démystifie un mot presque devenu un étendard. Laurence Rassel est artiste, gère le site cyberféministe et organise, au sein de l’association « Constant », des événements, des rencontres autour des technologies et du féminisme. Véritable lieu d’échanges entre académiques, militants et femmes en formation dans les nouvelles technologies. Pour annonces ces 3èmes digitales qui se tiendront du 20 au 24 janvier, scum grrrls a voulu rencontrer Laurence Rassel, notre héroïne préférée…
Scum grrrls : Qu’est-ce que le cyberféminism ?
Laurence Rassel : C’est être, agir, créer, travailler, penser ici et maintenant en ayant conscience d’être liée dans une histoire du féminisme, tout en ayant un projet pour le futur.
Cette question, ancienne pour moi et éternelle, depuis que les premières rencontres cyberféministes en 1997 ont décidé de dire plutôt ce que ce n’était pas (voir http://www.obn.org), j’ai essayé d’y répondre en 1999, en ouvrant le site cyberféminisme avec ce texte, écrit alors, suite à des dialogues avec Nat Muller et Maria Puig De La Bellacasa : « Prenons le mot cyberféminisme, ditesle, montrez-le. Evidemment placez - le sur le net. Une fois placé, est-il le mot qui nous permette de faire lien ? Quand je dis nous qui suis-je, dois-je le dire ici alors que le simple fait d’écrire ici, réseau de coordination des études femmes et féministes, montre un choix d’identité : le féminisme.
Placer le mot cyberféminisme sur le net afin de tisser un réseau sur la toile (le web), autour de la question : le terme cyberféminisme est-il un bon terme ? Pourquoi répéter la question ? Parce que ce mot s’est révélé jusqu’à présent un véhicule qui permettait d’entrer dans un monde à nouveau dominé par l’idéologie mâle. D’entrer dans le ’cyberespace’ (comme ils disent), tout en maintenant la présence de l’identité sexuelle qui, quoiqu’on en dise, n’a pas disparu sur la toile. Entrer et s’y réapproprier le langage.
Dites cyberféminisme, utilisons la métaphore de l’écho. Cyberféminisme relaie l’héritage de l’histoire du féminisme, à nouveau un véhicule. Véhicule qui nous permet de lier passé et avenir, mais surtout de faire l’expérience du présent. Dire notre attachement aux valeurs défendues par le féminisme et leur faire écho vers l’avenir, non répéter ce qui a été dit mais incorporer, transporter, renvoyer dans le réseau. Donc il s’agit d’un acte, prendre ce mot et le placer dans la toile, à partir du moment où nous portons ce mot, d’autres s’y reconnaissent, s’y regardent.
Pourquoi : le fait de lire certains textes ? Partageons ces textes, le fait d’avoir rencontré certaines femmes ? partageons ces rencontres. Peut-être nous ne nous pensons plus comme un être de nature mais comme un être recodé par le capitalisme, la technologie, la médecine, la biotechnologie et le féminisme ? Alors qu’est-ce qui nous définit : le fait de choisir l’identité femme comme résistance (’act as if woman was still our location [1]), le fait de partager l’histoire ? Nous commencerons par le fait de partager ces questions. »
[1] Rosi Braidotti,’Cyberfeminism with a difference’, www.let.uu.nl/ womens_studies/rosibraidotti/cyb erfem.htm
S.G. : Pourquoi as tu été attirée, en tant que féministe, par le cyberféminisme ? Comment cela répond-il à ton projet politique ?
L.R. : Pour moi, c’était une possibilité d’être ici et maintenant, en ayant conscience d’appartenir à une histoire du féminisme tout en ayant un projet pour le futur. Mais comment savez-vous que je suis féministe ? Le fait de l’écrit fait croire que je sais, que j’ai un savoir qui me permet d’écrire, alors que mon féminisme vient de la vision, des histoires, des expériences vécues, traversées, tentées par de l’écriture. Mais plutôt encore une fois de l’image, de l’action, le fait simple de vivre ici et maintenant.
Le cyberféminisme a répondu à 2 de mes attentes, parmi d’autres évidemment. Se penser comme femme dans le futur, ensuite penser des outils de travail et de création qui soient collectifs multimédia, hétérogènes.
Ensuite pour pouvoir aujourd’hui entreprendre une traversée des territoires sans cesse redéfinis, des corps, des cultures , des médiums et des identités sans cesse déconstruits et remodelés, il nous faut, comme ceux et celles qui la construisent et la défont, nous nourrir aux sources bigarrées du savoir et de l’imaginaire. Je suis condamnée à l’approcher de manière transdisciplinaire. Cette transdisciplinarité existe de fait dans le mot ‘cyberféminisme’, en plus de penser l’outil sur le mode des nouveaux médias qui implique ces différents médias que sont le texte, les images et le son, que ce soit la collectivité implicite qu’implique la mise en ligne, donc sur internet, tout projet, oeuvre car elle demande différentes compétences et savoirs, donc différent/es techniciennes et /ou artistes. Aussi cette virtualité des moyens, des outils, donc une sorte de transparence et de disparition. Aussi cette possibilité d’ouvrir donc de comprendre, de partager les outils de production, de diffusion, d’exposition… Vous ai-je dit que j’étais, je suis une artiste, mais ce n’était pas la question, nous partions du fait que je suis féministe.
S.G. : Qu’est ce que Digitales ? Quel est son projet politique ?
L.R. : DIGITALES sont des journées de rencontres-partage de savoirs, de compétences, d’expériences, de rêves et de questionnement qui allient pratiques professionnelles, réflexives et artistiques pour nourrir l’action politique et dont les archives sont conservées en ligne. Organisées pour la 1ère fois en 2001 à Bruxelles, puis en 2002, les journées DIGITALES "reloaded" et "nomadisées" auront lieu du 20 au 24 janvier 2004 à Bruxelles et Anvers, avec l’implication d’autres partenaires et accompagnées d’évènements associés.
Il ne se passe pas une journée sans que l’on nous annonce l’impact de la technologie sur nos vies quotidiennes, ou le rôle croissant que les femmes y jouent (mais souvent comme consommatrices). Celle-ci transforme notre rapport au travail, à la communication, et même à la maternité. Il ne se passe pas une journée sans que l’on souligne la nécessité d’adapter sa formation et ses attentes à ces nouveaux outils, ou que l’on nous mette en garde contre l’inégalité qui naîtra des nouveaux développements informatiques : y avoir accès ou pas, les comprendre ou pas, s’en servir ou être utilisés par eux. De plus les industries, et certains départements universitaires, souvent par manque d’effectif plus que par souci d’égalité, tentent d’attirer les femmes et surtout les rêves des jeunes filles vers les sciences et les technologies.
Le Traité européen de Lisbonne en mars 2000 a mis dans ses priorités La maîtrise des nouvelles technologies, dans un but économique, mais aussi d’égalité et de participation culturelle de l’Europe au développement international. L’enjeu est de taille. Car certain-e-s ne voient dans les technologies qu’un outil de libéralisation du commerce, doublé d’une structure de contrôle et de surveillance, qui ne fera qu’amplifier la fracture entre le Nord et le Sud, l’écart entre les pauvres et les riches. Or, nous savons aussi que nous pouvons espérer plus de ces outils. L’internet par exemple s’est révélé un formidable espace de création, de diffusion, d’information.
Mais s’il est important que les femmes manipulent l’outil, il ne faut pas que celui-ci les aliène. Il faut donc modifier dans les esprits des éducateurs, des employeurs, l’image de la relation des femmes aux nouvelles technologies. (texte écrit avec Nadine Plateau et Marie-Francoise Stewart, 2001- 2002)
Les activités des journées DIGITALES
ont été axées sur une
série de questions :
Maîtriser les outils : comment
influencer les règles du jeu,
modifier les ‘systèmes d’exploitation’,
les outils, les software, avoir
accès au code source de la technologie
? Quelle est l’interaction
entre le travail, le produit et ses
ouvriers-ères et ses utilisateurstrices
? Quels sont le contexte et
le produit réalisé (base de
données, moteur de recherche,
langage libre, domaine public,
peer-to-peer, portail, logiciel libre,
gratuit) ?. Notre force viendra-telle
de notre propriété sur l’objet,
sur le langage, sur l’information ou
plutôt du partage, du dialogue, du
traitement et de l’analyse de
l’information, du réseau ?
Comprendre l’histoire, le travail :
les femmes ont créé des machines,
leur ont donné leurs noms. On a
adapté les machines aux femmes
et vice-versa, elles se sont appropriées
ces machines et elles s’y
sont parfois identifiées. Pourtant
cette histoire commune est largement
passée sous silence. Or elle
nous permet de comprendre le
présent et d’imaginer le futur.
Quels sont les machines, les outils,
les métiers pour les femmes de
demain ? Quels comportements
de machines veut-on nous voir
intégrer ? Des instruments, les
langages opensource, permettent
désormais d’adapter son outil (son
système d’exploitation !) à ses
besoins et à ses compétences :
quelles conséquences ? L’accès aux
TIC est-il un droit ou un besoin ?
Connaître les entreprises : que
mettent-elles en place pour valoriser,
assurer, la place des femmes en relation avec la technologie. Estce
que les pouvoirs publics (belges,
européens) doivent intervenir,
réguler ? quel rôle pour les syndicats
? La double contrainte sur le
lieu de travail, la nomenclature
professionnelle, etc. (texte écrit
avec Nadine Plateau et Marie-
Francoise Stewart, 2001-2002)
S.G. : Quelle est ta cyberhéroïne préférée et pourquoi ?
L.R. : Hum, toutes les femmes, voilà comment je suis devenue cyber/féministe : « on ne nait pas femme, on le devient ». Je me pensais comme une construction résultat de mon éducation, de ce que la société attendait de moi, en tant que femme, mais cette conscience d’être un/e construit/e, me permettait d’envisager toutes les possibilités d’être, d’incarner, d’agir, de représenter. Je reconnais l’importance de l’imaginaire et les héroines comme Ripley d’Alien surtout le 4e épisode, Aki de Final Fantasy, le major Kusanagi de Ghost in the Shell, Trinity de Matrix, Elektra d’Existenz, les héroines des romans d’Octavia Butler, de Pat Cadigan offrent des mouvements, une puissance, une histoire, un espace et surtout des costumes à mes imaginaires. (pour être juste, ces héroïnes ne peuvent jamais développer pleinement leur puissance-voir le texte de Muriel Andrin pour Digitales 2001 sur les cyberhéroïnes http://www.digitales- online.org- mais nous, nous avons peut-être cette possibilité d’aller jusqu’au bout !). Bref être une femme féministe du 21e siècle est être une cyberhéroïne, non ?
S.G. : Peux-tu nous parler de ton site cyberféministe ?
L.R. : En 1999, je l’ai commencé en pensant ouvrir un espace féministe sur le net où je pourrais trouver, où je donnerais à voir et à connaître les multiples formes du cyberféminisme, toutes ses incarnations en sons, images, textes. Aussi je pensais créer un espace public féministe empli de fiction, de force et d’avenir. Puis ce site est devenu un lieu de publication, puis il est devenu un outil de travail, car le cyberféminisme ne se produisait plus uniquement virtuellement, mais se déroulait dans des lieux réels de travail.
S.G. : Si tu devais reprocher une chose au cyberféminisme, un défaut, une lacune, ce serait quoi ?
L.R. : D’être une esthétique, une pose, une fiction, ce qui me plait aussi.
S.G. : Quel est l’avenir du cyberféminisme ?
L.R. : A la fois la dissolution et la reconnaissance. C’est la transparence et la transmission qui lui apporteront la pérennité. Lorsqu’il est et deviendra un outil de travail, de création, de réflexion, ce qu’il est pour moi, je crois.
S.G. : Quelles sont les lectures de base ou les sites utiles pour celles qui veulent s’initier ?
L.R. : Bien sûr le site :
http://www.constantvzw.com/cyberf
Et les textes archivés sur
http://www.digitales-online.org
Voir /main pour des liens vers
textes, artistes et associations
Voir /book pour des textes
traduits vers le français et/ou le
néerlandais de textes « fondateurs »
comme le Cyborg Manifesto de
Donna Haraway ou Cyberfeminism
with a difference de
Rosi Braidotti ;
Voir /digitales pour toutes les
archives sons, images et textes de
Digitales
Et les publications suivantes :
Cornelia Sollfrank, ’First
Cyberfeminist International’,
1997, www.obn.org
Nina Wakeford, ’Networking
Women and Grrls with
Information/Communication
Technology ’in Processed livesgender
and Technology in
Everday life, ed.Roudtledge,
1997
Donna Haraway, ’Simians,
Cyborgs and Women : the
Reinvention of Nature’, Free
Association Books, 1991.
Rosi Braidotti, ’Cyberfeminism with a difference’, www.let.uu.nl/
womens_studies/rosi braidotti/
cyberfem.htm
- Donna Haraway, ’Cyborg manifesto’,
www.stanford.edu/dept/
HPS/Haraway/CyborgManifesto
.html
VNS Matrix, //syx.org/vns
http://www.constantvzw.be