> Les numéros > Scumgrrrls N°12 - Automne / Fall 2007

Dossier : Contester le pouvoir

De la désobéissance civile àla lutte armée lorsque les femmes décident de contester un pouvoir discriminant ou oppressant, elles le font souvent en ayant recours àdes stratégies qui sont en elles-mêmes des modes de contestation du pouvoir. En quelque sorte, les fins et les moyens se confondent. Les mouvements féministes ou les femmes militantes dans d’autres mouvements de libération ont régulièrement appliqué le théorie de la désobéissance civile développée par Henry Thoreau. La désobéissance civile implique un redus actif et non-violent d’obéir aux lois et demandes d’un gouvernement ou du pouvoir occupant : la violation d’une loi injuste d’un état injuste constitue le moyen de révéler cette injustice pour arriver àsa suppression.

Thoreau notamment avait refusé de payer ses impôts pour protester contre l’esclavage. LA violation de la loi peut parfois prendre des tournures plus violentes lorsque la contestation du pouvoir prend la voie du terrorisme ou de la lutte armée, dont le point commun est de dire NON au pouvoir, sont des voies explorées par les femmes et les féministes sur tous les fronts : lutte contre l’esclavage, contre le colonialisme, contre l’occupation, contre la guerre, pour les droits civiques ou sociaux, ou les droits des femmes. En voici quelques exemples au cours de l’Histoire.

  • ANTIGONE

Fille d’OEdipe et de Jocaste (à qui on consacrerait bien un article dans un prochain numéro), Antigone est la figure de la désobéissance par excellence : s’opposant aux lois de Créon et bravant la menace de mort par lapidation, elle ira rendre les hommages rituels interdits sur la tombe de son frère. C’est la structure même du pouvoir qu’elle défie dans une société où il est clair que ce n’est pas aux femmes de faire la loi. La joute verbale qui oppose le cynique Créon à la folle Antigone reste contemporaine « je ne suis pas faite pour vivre avec ta haine, mais pour être avec ce que j’aime ». Dans cette Grèce où les affaires de la cité sont seules réservées aux hommes, le rôle de cette adolescente dissidente fait figure d’exception.

  • OLYMPE DE GOUGES (1748-1793)

La célèbre révolutionnaire française, auteure de la Déclaration des Droits de la Femme et de la citoyenne et de nombreux écrits sur les droits des femmes et l’abolition de l’esclavage, n’a pas été exécutée en raison de sa position féministe, mais est plutôt une victime supplémentaire de l’épuration politique menée par la Terreur. Olympe de Gouges n’est donc pas à proprement parler une véritable désobéissante civile. Toutefois, les mots célèbres du procureur de la Commune de Paris, se félicitant de son exécution parce qu’elle avait « oublié les vertus qui conviennent à son sexe », rappellent que la répression qu’elle a subie n’est pas étrangère à ses prises de position en faveur des droits des femmes.

  • LES ABOLITIONNISTES (18EME-19EME SIECLES)

Nombreuses furent les femmes qui se sont engagées dans le mouvement abolitionniste aux Etats-Unis (et dans d’autres pays esclavagistes). Louisa May Alcott, Susan B. Anthony, Sarah et Angelina Grimke, Lucretia Mott, Elizabeth Cady Stanton, Harriett Beecher Stowe, Sojourner Truth, Harriett Tubman en sont les représentantes les plus connues. Régulièrement, leur lutte contre l’esclavage leur a valu d’être arrêtées et emprisonnées. Refusant de respecter les lois sur l’esclavagisme, certaines furent actives dans The Underground Railroad, réseau de routes, de moyens de transports et de lieux que pouvaient utiliser les noirs ayant fui l’esclavage pour gagner le Canada en hommes et femmes libres. Harriett Tubman, une ancienne esclave abolitionniste, aida plus de 300 personnes à s’échapper. Les abolitionnistes femmes devant se battre pour imposer leur prise de parole dans les assemblées anti-esclavage, elles ont vite associé leur lutte à la nécessité d’une émancipation des femmes et sont à l’origine du féminisme américain et du mouvement en faveur du droit de vote des femmes.

  • SOJOURNER TRUTH (1795-1883)

She was the first black woman orator to lecture against slavery. She was herself a slave sold from master to master until she was freed in 1828. She managed to find a way of travelling round the country and lectured in favour of abolition and women’s rights. She was physically very impressive so when in 1852 she delivered one of her most famous speeches on equality between the sexes concerning the suffrage, she ripped open her blouse to prove that she wasn’t a man in disguise and showed her muscular arm as evidence that she worked just as hard as men without enjoying the same privileges ! She became a legend in her own time.

  • IDA B WELLS (1862-1931)

Née de parents esclaves affranchis, Ida B. Wells est une militante des droits civils et des droits des femmes. Elle s’est surtout fait connaître pour sa lutte contre le lynchage des noirs dans le sud des Etats- Unis, ce qui l’a exposée à de nombreuses attaques et violences. Ce qu’on sait moins, c’est qu’en 1884, 71 ans avant Rosa Parks, lors d’un voyage en train, elle refuse de laisser sa place à un homme blanc et de s’installer dans la voiture des noirs. Il a fallu trois hommes pour la déloger de son siège. Ida Wells a ensuite poursuivi la compagnie ferroviaire pour discrimination.

  • LOUISE MICHEL (1830-1905)

Louise Michel est surtout célèbre pour sa participation à l’insurrection lors de la Commune de Paris en 1871-1872. Militante, enseignante, infirmière, et propagandiste, elle a également pris part aux combats. Elle ne fut pas fusillée par la répression après la chute de la Commune, sans doute parce qu’elle était une femme, mais elle a été envoyée en exil en Nouvelle Calédonie où pendant 7 ans, elle enseigne et milite, notamment aux cotés des indépendantistes. Revenue à Paris en 1880, elle poursuit son activité politique, et sera condamnée à six ans de prison pour "excitation au pillage" en 1883. De 1890 à 1895, elle gère une école libertaire à Londres, puis revient en France et meurt d’une pneumonie pendant une tournée de conférences.

  • ROSA LUXEMBOURG (1870-1919)

Rosa Luxembourg n’a pas 18 ans quand elle commence à militer dans le parti socialiste révolutionnaire polonais. En 1898 elle s’installe en Allemagne et prend la nationalité allemande. Journaliste, traductrice, enseignante, elle s’affirme très vite aussi comme une théoricienne du socialisme. En 1905 elle participe à l’insurrection en Pologne, frôle de peu l’exécution, et est assignée à résidence en Finlande. Revenue en Allemagne, elle est de nouveau condamnée pour son pacifisme pendant la première guerre mondiale. Après la révolution en 1918, elle organise de manière clandestine le mouvement révolutionnaire spartakiste, qui déclenche l’insurrection le 5 janvier 1919. Elle meurt assassinée par une unité de Corps Francs le 15 janvier 1919.

  • FEMINIST PEACE ACTIVISTS USING NON VIOLENT DIRECT ACTION TO CHALLENGE MILITARISM

Women’s peace activism has been part of the women’s movement for at least a hundred years, resisting militarism, nationalism, and patriarchy. The movement has found strategic ways to use direct action against the military industrial complex and challenging the nationalist rallying that proceeds most warfare. Women’s peace camps at military bases around the world from Greenham Common (England) to Puget Sound Peace Camp in Washington state (USA) are known, and there are also camps in Japan and Italy among others. Women in Black is another well-known antimilitarist feminist collective, using creative and non-violent demonstrations to challenge warmongering and nationalism.

  • MADELEINE PELLETIER (1874-1939)

She was known for her activities as psychiatric doctor, journalist, anarchist, activist and suffragist. Madeleine Pelletier found original ways to convey her claims for equality : she cut her hair and dressed like a man. She also stated that she would not have sexual intercourse as long women’s right to vote was not achieved. Her actions were perceived as numerous attacks against sexual identity. Charged for practicing abortions, she was acquitted but was pronounced crazy and put away in an psychiatric asylum.

  • EMMA GOLDMAN (1869-1940)

Impliquée dans les mouvements anarchistes aux Etats Unis dès les années 1880, Emma Goldman fut emprisonnée à trois reprises (en particulier pour avoir distribué de la littérature sur la contraception, puis pour s’être opposée à la conscription pendant la première guerre mondiale). John Edgar Hoover, qui présidait son troisième procès, l’a désignée comme la femme la plus dangereuse des USA, et elle a été expulsée vers la Russie révolutionnaire où elle a eu l’occasion de se rendre également sympathique aux bolchéviques. Elle a toujours été une fervente partisane du droit à la contraception et de l’amour libre.

  • LES AMAZONES DU DAHOMEY (1892)

Au Dahomey des femmes participèrent au combat contre la colonisation française en 1892. Il s’agissait d’un corps d’Amazones, garde royale à l’origine mais qui par la suite mena des actions de guérilla contre l’occupant pendant de nombreuses années.

  • CLARA ZETKIN (1857-1933)

Clara Zetkin commence à fréquenter les mouvements féministes à partir de 1870, et participe notamment à l’association générale des femmes allemandes. Elle participe également activement à la fondation de la Deuxième Internationale, où elle réclame l’égalité des droits des femmes. En 1907, lors de la première conférence internationale de femmes socialistes à Stuttgart, elle est désignée à la présidence du secrétariat international des femmes socialistes. Députée du parti communiste à partir de 1920, elle est opposée au stalinisme et se retrouve très isolée politiquement. Elle doit fuir en URSS en 1933, et meurt quelques semaines après son arrivée à Moscou.

  • WOMEN IN THE INDIAN NON-COOPERATION (1850-1947)

Gandhi is the most famous proponent of the civil disobedience strategy. By urging the Indians to peacefully rebel against and not to cooperate with the English colonial power, he could lead his country to independence. Many women, whose name was less remembered, were active in the Non-Cooperation movement. In the 19th century, the Queen of Janhsi, Rani Lakshmi Bai (1828-1858), recruited an army to lead the rebellion against the British power and became a national icon. Amrit Kaur (1889-1964), Gandhi’s secretary, funded the All India Women Conference in 1927, championed women suffrage and women’s rights, notably fighting to eliminate child marriage and to encourage girls’ education. For her resistance to the British domination, she was arrested and imprisoned many times. Kamala Nehru (1899-1936), wife of Nehru, has often taken the place of her husband when imprisoned and was herself arrested by the English rulers. In the Non-Cooperation Movement, she organised picketing with women groups. Another fighter for Indian independence, Pritilata Waddedar (1911-1921), joined Surya Sen’s armed resistance movement and carried out terrorist actions against key English premises.

  • MUJERES LIBRES - THE REVOLUTIONARY MEANS MUST MODEL THE GOALS (1936)

Mujeres Libres was an anarchist women’s organization in Spain founded in 1936 and had approximately 30,000 members. In revolutionary Spain of the 1930s, they struggled for social revolution and opposed the Nationalists, but they rejected mainstream Spanish anarchism’s claim that women’s equality would follow automatically from the social revolution – insisting that the means of revolution must model the desired organization of revolutionary society. Mujeres Libres organised schools, a women-only newspaper, etc.

  • LES SUFFRAGETTES (1820-1945)

Dès la fin du 19ème siècle, dans de nombreux pays, des femmes se sont organisées pour revendiquer que le droit de vote soit ouvert aux femmes. Cette lutte politique a souvent été accompagnée d’actes de résistance, de désobéissance civile, voire d’actes de destruction de bâtiments publics. On ne compte plus les arrestations et les emprisonnements de suffragettes ! En 1872, Susan B. Anthony, leader du mouvement américain pour le vote des femmes, est arrêtée et condamnée pour avoir violé la loi : elle tentait de voter aux élections présidentielles américaines ! En 1909, Winston Churchill est frappé au visage par une suffragette. En portant le coup, elle dit : "Vous ne l’avez pas volé et ce n’est pas fini. Les femmes britanniques vous en feront voir d’autres...". En 1905, Christabel Pankhurst crache au visage d’un policier. Elle et sa mère, Emmeline, ont régulièrement fait de la prison pour leurs actions. En 1913, Emily Wilding Davison se tue en se jetant sous le cheval du roi d’Angleterre lors d’un derby. C’est aussi l’année où les actes de violences du WSPU (Women’s Social and Political Union) se multiplient. Le mot d’ordre est de détruire propriétés publiques et privées. Plusieurs tentatives sont faites par les suffragettes afin de brûler les maisons de membres du gouvernement opposés au droit de vote des femmes. La maison du chancelier est alors saccagée, et des pavillons, églises, hippodromes et cercles masculins sont incendiés. Les responsables étaient généralement arrêtées et emprisonnées, en prison elles faisaient la grève de la faim. Kitty Marion, une des meneuse du WSPU met le feu à la Levetleigh House, à la tribune d’un champ de course et à plusieurs maisons à Liverpoool et Manchester. En 1917, Alice Paul organise la toute première manifestation devant la maison blanche, pour dénoncer l’inaction du président Wilson par rapport au droit de vote des femmes. Lors d’une de ses manifestations, Alice Paul et d’autres femmes seront arrêtées et emprisonnées pour « obstruction du trafic ».

  • MARGARET SANGER (1883-1966)

Margaret Sanger was an American birth control activist and nurse, who tried to find practical methods of birth control that could be made available to woman. Sanger risked being imprisoned by the government and was threatened by religious obscurantism, yet she continued the struggle to make birth control a fundamental human right and a choice available to the widest range of women. In 1916, Sanger opened the first birth control clinic and family planning. The clinic was raided a few days later by the police. She served one month in jail. A court of appeal in 1918 allowed doctors to prescribe contraception.

  • THE WOMEN OF THE ROSENSTRASSE (1943)

In 1943, 6000 wives and relatives of Jewish men who were arrested by the Nazis to be deported to concentration camps, gathered in the Rosenstrasse in Berlin to protest against the detention of their husbands. For one week, they held a peaceful protest to demand their release, which they ultimately obtained. Those unarmed and unorganised women were capable to bend the SS, with a non-violent action. It is one of the very few peaceful and successful resistance action against the Third Reich.

  • LES FEMMES DU RESISTANCE CONSPIRACY CASE (1970-1985)

En 1983, quatre femmes sont condamnées à de lourdes peines de prison pour avoir participé à un attentat contre le Sénat américain. Linda Evans, Marilyn Buck, Susan Rosenberg, Laura Whitehorn, sont des militantes de longue date contre le Vietnam, l’impérialisme américain, pour les droits civiques et les droits des femmes. Elles ont choisi la lutte armée et deviennent membres du mouvement révolutionnaire armé Weather Underground. La répression de l’Etat américain contre ces femmes, prisonnières politiques, sera terrible. Laura Whitehorn passa 11 ans en prison, Linda Evans fut condamnée à 40 ans de prison simplement pour avoir acheté quatre armes sous un faux nom et pour avoir caché un fugitif. Elle et Susan Rosenberg furent libérées par Bill Clinton après 16 ans de détention. Marilyn Buck est toujours en prison où elle purge une peine de 80 ans !

  • LA LUTTE CONTRE L’AVORTEMENT (20EME-SIECLE)

Dans de nombreux pays où l’avortement était considéré comme un délit, des femmes médecins n’ont pas hésité à braver la loi en pratiquant des interruptions de grossesse tout en menant un combat politique pour décriminaliser l’avortement. En 1971, le Nouvel Observateur publie une liste de 343 femmes qui revendiquent avoir pratiqué le délit d’avorter. On retrouve dans ce « manifeste des 343 », surnommé par le journal Charlie-Hebdo, le manifeste des 343 salopes, de nombreuses personnalités publiques ou littéraires telles que Catherine Deneuve, Marguerite Duras, Marie France Pisier, etc. L’article devient un manifeste et fait l’effet d’une bombe, pour un droit qui sera finalement accordé en France en 1975.

  • ROSA PARK (1913-2005)

En 1955, elle s’est assise dans un bus, et a refusé de bouger quand on lui a demandé de céder sa place à un blanc : son action a été soutenue par un boycott de 381 jours de la compagnie de bus, puis un jugement de la cour suprême a déclaré les lois ségrégationnistes anticonstitutionnelles. Militante dès 1943 de la ’National Association for the Advancement of Colored People’, elle reste une des figures importante du combat pour les droits civiques aux Etats-Unis.

  • ULRIKE MEINHOF, GUDRUN ESSLIN

En Allemagne, La Fraction Armée Rouge ou bande à Baader comptait plusieurs femmes dans ses rangs. Fondatrice du groupe, Gudrun Esslin rejoint Andreas Baader en 68. Ulrike Meinhof, rejoint la lutte armée en libérant Andreas Baader et devient l’idéologue de la fraction armée rouge.

  • NATHALIE MENIGON, JOELLE AUBRON

Nathalie Ménigon fut une des membres fondatrices d’Action directe, organisation révolutionnaire de lutte armée française.

  • ZORA LA ROUGE (ALLEMAGNE AVRIL 2007)

En avril 2007, le procès d’Adrienne Gerhäuser, 58 ans, condamnée à 2 ans avec sursis, a rebraqué les projecteurs à la fois sur les groupes terroristes des années 70 et en particulier sur Rote Zora, groupe de féministes de la gauche radicale, auquel l’accusée appartenait. Ce qui distingue Rote Zora des autres cellules révolutionnaires de l’époque, ce sont d’abord ses objectifs. Bien sûr c’était une cellule terroriste puisque ses militantes organisaient des attaques à l’explosif, mais elle était avant tout féministe et anti-patriarcale et ciblait particulièrement des lieux d’oppression de femmes, tels qu’une usine textile parce que des ouvrières asiatiques d’une de ses filiales luttaient pour de meilleures conditions de travail, par solidarité donc, ou encore des sex shops, un institut de biotechnologie, l’ambassade des Philippines impliquée dans un trafic de femmes, un tribunal à cause d’une loi rétrograde contre l’avortement etc. On leur impute plus de quarante attaques entre 1977 et 1995, la plupart en Allemagne de l’Ouest. Autre grande différence d’avec les autres groupes terroristes allemands : leur intention était aussi de ne blesser personne dans les attentats, ce qui en fin de compte leur réussit ! Le nom Rote Zora vient d’un livre pour enfants ayant pour héroïne une orpheline aux cheveux roux, écrit en 1941 par Kurt Kläber (Die rote Zora und ihre Bande).