On a toutes lu de la bande dessinée, plus ou moins grand public, plus ou moins adulte. La plupart du temps, nous ne nous sommes sans doute même pas rendues compte de l’étrange absence de femmes comme personnages de BD. Il y a bien Yoko Tsuno, Adèle Blanc-Sec, Minnie, Natacha l’hôtesse de l’air,…mais c’est bien maigre et c’est signé au masculin.
Mais qu’est ce qui peut bien nous choquer dans cette BD traditionnelle ? Serait-ce son usage à outrance des clichés sexistes dans le dessin même : corps gonflés, exposés, déshabillés ? Son côté « comment dessiner une femme en trois leçons » : 1/ Des seins disproportionnés, des tenues décolletées et des poses suggestives, bref un look drag queen… 2/ La réduction de la femme à un homme mutant : dessinez un homme et rajoutez-y des yeux pourvus de longs cils et une bouche cernée de grosses lèvres, 3/ L’économie : c’est son appartenance seule au sexe féminin qui la caractérise, en général un personnage féminin par BD suffit : au choix victime à sauver, femme violée, objet de décoration érotique, et la kyrielle des fonctions clichés (infirmière, princesse, pute, maman, schtroumpfette…) ?
Il ne suffit pas d’expliquer cette représentation caricaturale des femmes par l’aspect commercial et grand public de la BD traditionnelle : les œuvres y sont forcément formatées, aliénées au diktat du marketing. Dans la BD alternative, les comics, on retrouve aussi un domaine essentiellement masculin. On y dénombre en effet peu de dessinatrices et de lectrices… C’est pourtant là que la présence de femmes créatrices est la plus intéressante car ses caractéristiques de tirage et de distribution (rapide à petite échelle) permettent de dynamiter les représentations classiques.
Quelques flibustières n’ont pas tardé à investir ce champ de création. Elles y ont pris un espace d’expression grandissant et particulièrement dynamique, elles y réinventent nos corps, nos pensées, nos actions, notre relation au monde avec arrogance et dérision. Héritières des courants de bédé féministe des années 70 et du célèbre magasine français « Ah ! Nana », ces auteures de comics, en Europe ou en Amérique, restent souvent très politiques, mais ont également investi le champ de l’intime et créent de véritables œuvres d’art. En voici quelques-unes, qui nous plaisent particulièrement, que ce soit sur le plan artistique ou sur le plan politique, histoire de vous inciter peut-être à jeter un œil à ce secteur de création trop peu souvent lu par des femmes.
Comme pour tous les dossiers du Scum, celui-ci ne prétend pas à l’exhaustivité, il cherche juste à vous faire partager certaines de nos œuvres préférées. Il se limite également aux créatrices actuelles, négligeant les nombreuses femmes qui dès le début du 20ème siècle ont écrit et dessiné des bandes dessinées… et l’espace nous a manqué pour évoquer les mangas ou l’héroïc fantasy, autres catégories intéressantes des comics.
Allez les filles : A l’abordage !!
Olivia Clavel
C’est notre dessinatrice chouchoute des années 70. « Les aventures de télé » tournent autour d’un personnage de butch, politiquement incorrect, qui cherche la bagarre et drague les filles dans les toilettes. Membre de l’équipe du fameux Bazooka, ses dessins angulaires sont chargés d’électricité statique, normal pour une télé. Voyez ses œuvres sur http://users.pandora.be/ua001/Bazookapics/index50.htm
Julie Doucet
Julie Doucet inonde la ville de ses règles, se réveille un beau matin dotée d’un long pénis ou accouche de plusieurs chatons, quand elle ne raconte pas sa vie quotidienne à New York, Montréal ou Paris. Avec humour et un ton mordant et ironique, frôlant parfois le surréalisme, cette auteure canadienne transpose à la bande dessinée de nombreuses réflexions féministes sur le corps, le genre, le couple. Souvent, elle se lance dans l’autobiographie, évoque ses amants trop autoritaires, ses crises d’épilepsie, ses problèmes d’argent, ses angoisses ou ses amitiés. En 1991, elle lance sa propre revue, Dirty Plotte, argot anglais que l’on peut traduire très imparfaitement par « vagin sale ». Dernièrement, Julie Doucet s’est davantage consacrée à la sérigraphie, à l’illustration ou à la gravure, techniques que l’on pressent déjà dans ses dessins foisonnant de détails, presque expressionnistes qui traduisent une urbanité obsédante ; un trait aussi abouti que celui de Charles Burns ou Gary Panther et qui l’a consacrée comme un modèle pour les créatrices de BD alternative. Les albums de Julie Doucet sont publiés aux éditions de l’Association (dans toute bonne librairie BD).
Debbie Dreschler
Récit sur l’enfance, Daddy’s Girl traite d’inceste. Son dessin, aux formes arrondies et à l’apparence anodine, n’en cache pas moins une noirceur terrible qui répond aux angoisses de cette petite fille abusée. Toutefois, le récit ne verse pas dans le pathos et ne s’écarte pas du ton d’une chronique de l’enfance. La narration et le dessin font partie d’une réflexion sur la représentation d’actes de violence et l’économie des moyens utilisés par Debbie Dreschler donne une grande force à ses planches tout en contrastes. The Summer of Love, poursuit l’autobiographie présumée de la dessinatrice, et raconte l’adolescence avec énormément de justesse, la difficulté de se faire des amis, les premiers émois amoureux ou la trahison de la sœur lesbienne. On peut voir ses illustrations, fort différentes de ses BD, sur http://www.debdrex.com et ses albums sont publiés aux éditions de l’Association
Linda Barry
Marlys est une petite fille rousse à lunettes couverte de taches de rousseur, issue de la petite bourgeoisie américaine. Dans des courtes planches fort chargées de textes, Linda Barry lui donne la parole pour nous raconter ses histoires d’enfance. Sur un ton faussement naïf, qui rappelle la forme d’un journal, Linda Barry traduit à la perfection le ton mesquin et ingrat des petites filles qui ne fait que répondre à la petitesse du monde qui les entoure. A l’inverse de cette BD fort drôle, son roman Cruddy, qu’elle illustre également, nous montre une face plus noire de l’enfance, un monde plus obsédant et cruel, rempli de secrets terribles. A chaque fois, on y retrouve une réflexion sur le monde des adultes par le prisme de l’enfance, sur le fait d’être une fille, une femme et sur les rapports entre filles et garçons. A lire sur : http://dir.salon.com/topics/lynda_barry/in dex.html
Sue Coe
Sue Coe fait partie de ces femmes ecolo-anar écorchées comme Gee Voucher, l’illustre-tratrice de CrAss, le célèbre groupe punk anglais. Peintures intestinales, crayon énucléant, son oeuvre témoigne du chaos contemporain : racisme avec Malcom X ou ses récits picturaux sur l’apartheid, ses différents projets sur le sida ou encore ses report-gore sur l’élevage industriel, le viandisme et la vivisection. Elle publie depuis l’âge de dix-sept ans son journalisme graphique, défiant ceusses qui réduiraient l’expression graphique des femmes à l’illustration pour enfants. Elle se fait un devoir d’associer paroles et actes en menant une vie simple loin des fastes des mondes de l’art. Ses ouvrages sont disponibles directement sur son site. http://www.graphicwitness.org/coe/
Marjane Satrapi
Le Scum vous a déjà parlé souvent de Marjane Satrapi et de ses albums autobiographiques qui racontent sa vie dans l’Iran de la révolution islamique. Ses dessins, très contrastés, se rapprochant presque de la gravure, ont une force d’évocation inégalée. Le quotidien, l’intime y a toujours aussi une dimension politique et c’est surtout la manière dont elle parle de la place des femmes en Iran ou dans le monde islamique qui lui a valu un public nombreux, bien au-delà du monde de la BD. A découvrir aussi ses albums pour enfants imprégnés de la culture et de l’histoire persane. Ses BD sont publiées aux éditions L’Association.
Chantal Montellier
Publiée dans Ah ! Nana puis dans Metal hurlant ou (A suivre), Chantal Montellier est aussi auteure de radiophoniques, écrivaine et illustratrice de presse. Elle exprime sa radicalité, son refus des oppressions, du sexisme, de la violence, de la psychiatrie et de l’ordre étatique à travers des histoires d’anticipation très personnelles, ou les personnages féminins ont la fragilité, la révolte mais aussi l’ambiguïté de leur position de dominées. Son trait clair et original est reconnaissable entre tous. Engagée corps et âme, elle ne mâche pas ses mots sur l’état de la création bd. Les éditions Vertiges graphic ont réédité l’an passé, sous le titre « Social fiction » plusieurs de ses bds des années 80 dont Shelter, une fable claustro sur l’organisation sociale et l’instrumentalisation du corps des femmes. http://chantal.montellier.free.fr/ La revue images and narrative a publié un numéro consacré au genre, dont notamment un article avec une riche bibliographie de Chantal Montellier et un article Gender Differences in Comics : http://www.imageandnarrative.be/gender/gender.htm
Roberta Gregory
Le monde de Roberta Gregory oscille entre deux personnages principaux. La première, Midge ou Bitchy Bitch, est une hétéro râleuse, névrosée, célibataire qui n’aimerait pas le rester mais qui en même temps ne peut s’empêcher de trouver les hommes pas trop à la hauteur. Très misanthrope, elle a du mal à supporter ses collègues de bureau, ses voisins, et tout autre être humain. Autant rester en compagnie de ses godes, vibromasseurs et autres concombres...
Son autre anti-héroïne, Bitchy Butch, est une lesbienne butch aussi râleuse que sa collègue hétéro. On se retrouve dans ses coups de colère contre les normes hétéro, les machos ou les gens qui la prennent systématiquement pour un homme. Dans un épisode, Roberta Gregory organise la rencontre entre Bitchy Bitch et Bitchy Butch : explosif et très drôle ! La dessinatrice américaine parvient également très bien à décrire ces petits tracas de la vie quotidienne d’une femme, telles les règles par exemple, et la manière dont ils finissent par nous taper sur les nerfs. Elle parvient aussi à se jouer des manières stéréotypées de dessiner les femmes dans la BD en exacerbant ces traits caractéristiques (cils, seins, lèvres) jusqu’à la parodie. A lire après une frustration ou un énervement quelconque pour une bonne dose de cynisme et d’humour noir féministe. Bitchy Bitch est publié en français (3 tomes) aux éditions Vertige Graphic. A retrouver sur http://www.robertagregory.com
Claire Bretecher
Bretécher est en quelque sorte la doyenne de tout ce petit mode ; elle fait aussi plus partie de la bande dessinée traditionnelle. Qui ne connaît pas encore Les Frustrés, chronique douce amère des post-soixantehuitards, ou Agrippine, cette adolescente surexcitée, et ses relations pas faciles avec ses copains ou ses parents ? Entre les bulles, se glisse souvent un propos féministe et au-delà du rire qu’elle déclenche, c’est toute une réflexion sur notre société qu’elle met en place. A retrouver sur http://www.clairebretecher.com
Alison Bechdel
Ses Dykes To Watch Out For sont à la BD féministe et lesbienne ce que Dallas et Dynasty sont au soap télévisé de masse. Depuis le début des années 80, c’est toute une bande de copines (avec quelques hommes depuis quelques années) dont on suit les aventures avec passion. Tout d’abord parce c’est rare qu’une bande dessinée parle d’un véritable communauté sans qu’un personnage se dégage véritablement des autres ; ensuite parce que les expériences et les coups de gueule de ces femmes, on croirait que ce sont les nôtres, que ce soit sur le plan sentimental, politique, économique ou identitaire ; et enfin, parce qu’au fil du temps, ses personnages de papier semblent devenir réelles au point que certaines fans n’hésitent pas à envoyer des lettres à la dessinatrice déclarant leur flamme à telle ou telle héroïne. La série, désormais publiée par des dizaines de journaux dans le monde et des sites web (féministes, gays ou lesbiens), parcourt près de 20 ans de vie lesbienne, des communautés de femmes aux questions queer, des Lesbian Avengers à la maternité lesbienne, des women studies aux fermetures des librairies de femmes, de Bush à Clinton et à Bush encore. Sa couverture de la vie politique américaine est particulièrement drôle et incisive. Alison Bechdel traduit avec nuances les hésitations et les luttes de la gauche américaine et des féministes et ses pages sur le 11 septembre et sur le monde selon Bush qui s’en est suivi sont parmi les plus intelligentes qui soient.
Dykes to Watch Out For sont publiés en anglais chez www.firebrandbooks. com (10 volumes et un volume spécial et épatant célébrant les 15 ans de la série) et une traduction d’un tome en français (Le môme des Lesbiennes à Suivre) existe aux éditions Cyprine. A lire aussi sur le net www.dykestowatchoutfor.com (un nouvel épisode toutes les deux semaines)
Anne Herbauts
Venant de l’illustration pour enfant, Anne Herbauts a réalisé de magnifiques albums de BD pour les éditions de l’AN 2 qui ont sorti une collection consacrée aux dessinatrices femmes. Dans Cardiogramme, son dessin, au simple crayon noir, proche d’un dessin d’enfant, traduit à la perfection la mélancolie de son personnage et la poésie du texte qui l’accompagne. On referme le livre avec un pincement étrange au cœur qui répond à ce cœur dans lequel semble vivre son héros, attendant un courrier qui n’arrive jamais. Cardiogramme, Editions de l’An 2, 2002. Au-delà des nuages, Editions de l’An 2, 2004.
Joanna Rubin Dranger
Joanna Rubin Dranger is the new star. Her two main works are Fröken Livrädd och Kärleken" (Eng. Miss Scared to Death and Love) and "Fröken Märkvärdig och Karriären" (Eng. Miss Very Special and the Career). Her theme is the all too usual young-urban-woman-who-has-a-lot-but-does-not- know-what-she-wants-gets-distressed ! However, Joanna knows what she is doing and her images are gorgeous !
Lena Ackebo
Lena Ackebo is Swedish Comics (together with a few men). She has published a number of comic books over the years, mostly making fun of the Swedish cultural and intellectual elite. She is certainly a feminist, although she does satire and not "pure politics". A retrouver sur http://www.varbostad.se/vab/1999/Kultur/Forf att/VB68283/VB68283.html
Caroline Sury
Caroline Sury fait partie de la scène BD alternative française où elle a créé, avec Paquito Bolino, les éditions du Dernier Cri. Ses dessins, qui se rapprochent plus de l’illustration que de la BD, oscillent entre expressionnisme et art brut et ne sont pas sans rappeler ceux des premiers Julie Doucet. Observatrice acérée de son environnement et des gens qui l’entourent, elles racontent en quelques traits nerveux et surchargés de véritables histoires. On peut voir certains albums sur http://www.lederniercri.org
Anna Sommer
Illustratrice suisse, Anna Sommer travaille le dessin, la gravure, les collages ou fabrique des corps de femmes en poupée. Elle y représente les rapports hommes-femmes, avec une sacrée dose d’humour noir ou d’érotisme et sans occulter la violence de ces rapports. En quelques scénettes ou en un seul dessin, elle a le don de raconter toute une histoire, tout un portrait de femme. Ses gravures, publiées notamment dans « Amourettes » sont superbes, érotiques, politiques, magiques. Elles s’amusent de petits drames de l’intime et du quotidien, saisissent des instants désarmants ou cruels. Plus loin de la simple BD, à la limite de l’art plastique. Amourettes, Ed. Buchet-Chastel, 2002. Baies des Bois, Ed. United dead Artists, 2002 http://www.lewub.com/udaroom
Ira Mallik
Ira Mallik does a comics called "Dödsmördararfeministen" (Eng. Dead-Killer-Feminist) in the Swedish feminist journal BANG. Ira’s heroine is a woman from outer space with extraordinary powers. Ira’s superwoman can turn sexist men into shit (literally). Ira’s Dead-killer-feminist is not satire. It is pure bad taste and anger ! The Dead-killerfeminist is just great (although she will probably not be translated into English, French or Dutch too swiftly, as the market for the Dead-killer-feminist-market is, still, rather limited).
Alice Lorenzi
Une découverte faite au hasard d’une librairie… On ne connaît pas grand chose d’Alice Lorenzi, si ce n’est cette courte BD, In de Vleestuin (Dans le jardin de viande). Mais déjà on aime ses dessins sublimes, à la limite du fantastique, son approche du corps et de la vie des femmes, ses textes étranges et magnifiques. (vleestuin@mail.com)
Lise Myhre
Lise Myhre (Norway) has created the comic heroine Nemi. Nemi has become very popular the last years. Nemi is a young, cynical, intelligent, Goth woman, who walks around Oslo, sits in bars and cafés and wonders about life. Nemi’s feminism is not loudly outspoken, but she allows herself to think, take up space and act as she pleases – and I suppose that that can be defined as feminism, or ? http://www.fullstop.se/nemi/index2.html
Cecilia Torudd
Cecilia Torudd has for quite a few years made a very popular comics series called "Ensamma Mamman" (Eng. The Lone Mother / The Single Mother). Like the title suggests this is a series about a Swedish single parent (or mother) with everyday problems. "Ensamma Mamman" is both feminist and socially aware and her images are great. http://www.kanalen.org/bok/rec.php ?id=134
Autres coups de cÅur, dans le désordre :
ANKE FEUCHTENBERGER et KATRIN DE VRIES, pour les dessins magnifiques de Die Hure h, publiés en français par
l’Association (La Putain p ou aussi La Petite Dame)
ANNE VAN DER LINDEN (http://heavyshop.free.fr/), pour ses dessins
et peintures
GEORGANNE DEEN (http://www.westernwitch.com)
SUSAN SYNARSKI (http://www.synarski.com), illustratrice
d’un livre sur les femmes pirates (Booty girl pirates on the high seas) et pour le New Yorker
MEGAN KELSO, dessinatrice très diverse, auteure notamment de la revue Girlhero (http://www.girlhero.com)
JESSICA ABEL, pour la
revue Artbabe (http://www.artbabe.com)
ELIZABETH WATASIN, pour la revue Action Girl
NATHALIE LETE
(http://www.nathalie-lete.com)
DIANE DIMASSA, pour son héroïne lesbienne détonante (Hothead Paisan - Homicidal
Lesbian Terrorist !)
LINE GANACHE, et son album Envoie Accouche qui nous parle de déprime, de seins qui tombent,
du temps qui passe et peut-être de bébé...